DATE : 20011207
NO DU DOSSIER DE LA COUR : C33807

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Les juges WEILER et SHARPE, J.C.A. et le juge RIVARD (ad hoc)

E N T R E :

   
     

GISÈLE LALONDE, MICHELLE DE COURVILLE NICOL et HÔPITAL MONTFORT

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Ronald F. Caza, Pascale Giguère et Marc Cousineau, pour les intimés

 

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requérants
                           (intimés en appel)

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- et -

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COMMISSION DE RESTRUCTURATION DES SERVICES DE SANTÉ

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Janet E. Minor et Michel Y. Hélie, pour l’appelante

 

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intimée
                (appelante)

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- et -

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LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LA FÉDÉRATION DES COMMUNAUTÉS FRANCOPHONES ET ACADIENNE DU CANADA et L’ASSOCIATION CANADIENNE FRANÇAISE DE L’ONTARIO

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René Cadieux et Johanne Tremblay, pour l’intervenante la Commissaire aux langues officielles du Canada

Alain Préfontaine et Warren J. Newman, pour l’intervenant le Procureur général du Canada

François Boileau, pour l’intervenante

                           intervenants

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La Fédération des communautés
francophones et acadienne du Canada

Paul S. Rouleau et Louise Hurteau, pour l’intervenante l’Association canadienne française de l’Ontario

 

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Dates d’audition : du 14 au 17 mai 2001

Appel du jugement de la Cour divisionnaire (le juge Carnwath, J.P.R. et les juges Blair et Charbonneau) en date du 29 novembre 1999.

Table des matières
 
Paragraphe
I.   Introduction 1
II. Les faits  
  1.    Hôpital Montfort 3
  2.    Le mandat de la Commission de restructuration des services de santé 8
  3.  La démarche suivie par la Commission 14
 

(a)         Le premier rapport de la Commission   

15
 
(b)    La réaction de la collectivité envers le premier rapport
33
 

(c)    Le rapport final de la Commission         

37
III. Le jugement de la Cour divisionnaire 52
IV.  Questions en litige 56
V.  Analyse  
  I.                  Questions de fait  
  Première question :  Les conclusions de fait de la Cour divisionnaire sont elles erronées? 58
 

(a)               La réduction de la disponibilité des services de santé en français

59
 

(b)       La formation des professionnels de la santé serait compromise

63
 

(c)        Le rôle institutionnel plus large de Montfort     

69
  II.          Questions de droit         
  Droits linguistiques : la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte canadienne des droits et libertés 77
 

La Loi constitutionnelle de 1867

78
 

La Charte canadienne des droits et libertés

87
  Deuxième question : Le paragraphe 16(3) de la Charte protège-t-il le statut de Montfort à titre d’institution francophone? 90
  Troisième question :  Les directives de la Commission contreviennent-elles à l’article 15 de la Charte? 96
  Quatrième question : Le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités s’applique-t-il à Montfort? 103
 

Le fédéralisme                                            

105
 

La démocratie

107
 

Le constitutionnalisme et la primauté du droit

108
 
Le respect et la protection des minorités
111
 
L'application du principe à Montfort
115
  Cinquième question : Les directives de la Commission violent-elles la Loi sur les services en français? 127
 
Le contexte et l’objet de la Loi
141
 
Le texte et l’exposé de la Loi
144
  Sixième question : Les directives de la Commission peuvent-elles faire l’objet d’une révision judiciaire fondée sur le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités? 170
VI.   Conclusions 188
     
Annexe A – Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, C. F-32

 

LES JUGES WEILER ET SHARPE, J.C.A. :

I   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel du jugement de la Cour divisionnaire (publié dans (1999), 48 O.R. (3d) 50 (en anglais) et [1999] O.J. No. 4489 (en français)) qui a annulé les directives de la Commission de restructuration des services de santé (la « Commission »), laquelle avait ordonné à l’intimé, Hôpital Montfort (« Montfort ») de réduire de façon considérable ses services de santé.  La Cour divisionnaire a renvoyé à la Commission la question de la restructuration des services de santé à Montfort pour qu’elle l’examine à nouveau en tenant compte du jugement de la Cour.  Le ministre de la Santé (l’« Ontario ») a maintenant remplacé la Commission.  L’Ontario interjette appel au motif que la Cour divisionnaire aurait commis des erreurs de fait et de droit en lui ordonnant de réexaminer les directives que la Commission a données à Montfort.  Montfort a interjeté un appel incident du jugement de la Cour divisionnaire qui avait statué que les directives de la Commission ne violaient pas les droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte des droits et libertés.

[2]               Le présent appel soulève d’importantes questions en rapport avec les droits linguistiques de la minorité francophone de l’Ontario.  Montfort, situé à Ottawa, est le seul hôpital en Ontario dans lequel la langue de travail est le français et où les services de santé en français sont disponibles en tout temps.  Montfort sert d’hôpital communautaire pour l’importante collectivité francophone de l’est de l’Ontario et joue également un rôle unique dans l’éducation et la formation des professionnels de la santé francophones.  Selon la Cour divisionnaire, parce que les directives de la Commission auraient pour effet de disloquer Montfort en tant qu’institution francophone importante, elles doivent être annulées au motif que la Commission a omis de respecter le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités.  L’Ontario interjette appel, plaidant que les droits linguistiques sont définis de façon exhaustive par le texte écrit de la Constitution.  Selon l’Ontario, puisque Montfort n’est pas protégé par le libellé de la Constitution, il était loisible à la Commission de transformer le statut de l’hôpital.  Montfort et les intervenants nous demandent de confirmer le jugement de la Cour divisionnaire.  Ils invoquent également les protections quasi constitutionnelles de la Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, c. F. 32 (« L.S.F. ») et soumettent que la Cour divisionnaire a commis une erreur en rejetant leur argument selon lequel Montfort est protégé par l’art. 15 de la Charte.

II LES FAITS

(1) L'Hôpital Montfort

[3]               Montfort est situé dans la partie est de la région d’Ottawa-Carleton.  Environ 80 % de la population francophone d’Ottawa vit à l’est de la rivière Rideau.  La plupart des patients de Montfort proviennent des quartiers situés tout près de l’hôpital.  Le comté de Russell, une zone à forte croissance ayant une population de 34 761 habitants (selon le recensement de 1991), n’a pas d’hôpital.  La population compte entièrement sur Montfort et sur l’Hôpital général d’Ottawa pour les services hospitaliers.

[4]               Montfort est décrit en ces termes dans les motifs de la Cour divisionnaire, aux pp. 58 à 60 :

            L’Hôpital Montfort a été fondé en 1953 grâce aux efforts de chefs de file de la collectivité franco-ontarienne sous la direction d’une congrégation religieuse, les Sœurs de la Sagesse.  Contrairement à d’autres hôpitaux de la région d’Ottawa qui étaient anglais ou désignés bilingues, Montfort était un hôpital entièrement francophone.  Même s’il fournit aujourd’hui des services bilingues en anglais, la formation et les services médicaux y sont offerts principalement en français.  De plus, l’hôpital joue un rôle important au sein de la collectivité franco-ontarienne dans son ensemble.  Il est le seul hôpital en Ontario à fournir un vaste éventail de services de santé et de la formation médicale dans un milieu vraiment francophone.  En 1975, Montfort a adopté une politique officielle concernant sa nature francophone, fondée sur les principes suivants :

a)      que son caractère francophone était sa raison d’être;

b)      qu’il était nécessaire d’offrir tous les services hospitaliers en français;

c)      qu’il était nécessaire d’offrir un éventail complet de soins médicaux, à l’exception de certains services très spécialisés déjà disponibles dans d’autres établissements de la région.

            Lorsque la Commission a commencé ses travaux dans la région d’Ottawa-Carleton en juillet 1996, 9 hôpitaux publics fournissaient des services dans 11 emplacements principaux.  De ce nombre, 7 étaient des hôpitaux de soins actifs, dont 6 disposaient de services d’urgence.  L’Hôpital Montfort était l’un de ces 6 hôpitaux de soins actifs.

            Montfort a une capacité totale de 252 lits.  Toutefois, à partir de 1995-1996, cinquante-six de ces lits ont été fermés.  Montfort fournit des services surtout aux niveaux primaire et secondaire … .  Parmi ses principaux programmes, on compte la cardiologie, la chirurgie, la médecine pulmonaire, l’orthopédie et l’obstétrique.  Il offre aussi des soins d’urgence.  … Bien qu’il ne fournisse pas de services dans certains domaines très spécialisés, l’Hôpital Montfort mérite vraiment le titre d’« hôpital général » de services complets et est perçu comme tel par l’ensemble de la collectivité.

            Montfort est un établissement de soins de santé unique en Ontario pour diverses raisons.  D’abord, son histoire est différente de celle des autres hôpitaux créés dans l’est de l’Ontario par différentes communautés religieuses.  Bien qu’ils aient tous été francophones au départ, les autres sont depuis devenus soit des hôpitaux anglais (p. ex. : l’Hôtel Dieu de Kingston) ou des hôpitaux bilingues (p. ex. : l’Hôpital Général d’Ottawa).  Seul Montfort est resté un établissement francophone dans Ottawa-Carleton.

            Même si Montfort a perdu son département de pédiatrie en 1974, à la suite de la création de l’Hôpital pour enfants de l’est de l’Ontario (« CHEO »), il a continué à prendre de l’expansion et à étendre son éventail de services.  Il est important de souligner – à la fois du point de vue de l’Hôpital concernant son propre mandat, et de l’image que se fait la collectivité de ce mandat – qu’à la suite de la perte de sa spécialité en pédiatrie, Montfort a réaffirmé son engagement à demeurer un établissement francophone, en offrant tous les niveaux de soins de santé en français et, comme nous l’avons souligné ci-dessus, en faisant de son caractère francophone sa « raison d’être ».

            En 1984, Montfort a commencé à offrir des services bilingues.  Aujourd’hui, 20 % de ses patients sont anglophones.  Mais, la langue de travail à Montfort a toujours été et demeure le français.  Plus de 95 % de ses employés sont capables de fournir des services en français.  Par conséquent, les médecins, les infirmières et infirmiers, les employés de la cafétéria, les préposés à l’entretien et les autres personnes œuvrant à tous les niveaux et dans tous les domaines de services de Montfort travaillent en français.  Une personne qui circule dans les couloirs de Montfort peut constater que la langue française est utilisée par choix.  Toutes les communications internes – verbales ou écrites – sont faites en français.  Sauf de rares exceptions, toutes les réunions administratives et médicales se déroulent en français et les comptes rendus de ces réunions sont rédigés dans cette langue.  Les consultations, les diagnostics et les communications avec les patients se font en français.

Il s’agit d’une situation unique dans la région d’Ottawa-Carleton et, en fait, dans la province de l’Ontario.

[5]               Il y a lieu de compléter brièvement cette description des services de Montfort.  Comme nous l’avons vu, Montfort est un hôpital communautaire qui compte environ 196 lits en service.  Il fournit des services de soins de santé primaires (c.-à-d. des soins fournis par un travailleur de la santé lorsque le patient a son premier contact avec le système de soins de santé, y compris les services d’urgence), des soins secondaires (c.-à-d. des soins fournis par un professionnel de la santé spécialiste, par exemple un chirurgien généraliste) et, selon le rapport de la Commission publié en février 1997, à la p. 41, certains soins de niveau tertiaire (c.-à-d. des soins qui nécessitent des compétences hautement spécialisés, de la technologie et des services de soutien).  En outre, Montfort fournit des services de soins intensifs, de traitement et de référence, de même que des activités en clinique externe ou interne.  En plus de la cardiologie, de la chirurgie, de l’orthopédie et de l’obstétrique, la psychiatrie était un autre de ses principaux programmes pour patients hospitalisés.

[6]               Montfort joue également un rôle important dans le domaine de l’enseignement.  En collaboration avec l’Université d’Ottawa, Montfort offre un programme de formation destiné aux fournisseurs de soins de santé qui ont choisi d’être formés en français.  Montfort accueille actuellement 186 étudiants en sciences de la santé, y compris des étudiants en physiothérapie et en ergothérapie, des commis médicaux et des résidents en médecine familiale.  Parmi les médecins de famille qui admettent des patients devant être hospitalisés dans un des lits de médecine familiale de l’hôpital, plusieurs participent activement au programme de formation en médecine familiale destiné aux résidents et aux étudiants de médecine de premier cycle.  Une fois admis, les patients peuvent avoir besoin des services d’un spécialiste ou d’un chirurgien qui travaille également avec les étudiants et les résidents.  Le programme de formation à Montfort a une portée qui s’étend au-delà de la région d’Ottawa-Carleton et du district de l’Est avoisinant.  Par exemple, un médecin formé à Montfort peut servir les importantes populations francophones des collectivités de Hearst et de Kapuskasing, dans le Nord ontarien.

[7]               Les intimés soulignent que l’importance institutionnelle de Montfort pour la minorité francophone de l’Ontario va au-delà des besoins de soins de santé et d’éducation de la minorité francophone.  Selon les intimés, Montfort est une institution qui incarne et qui évoque la présence française en Ontario.  Ils affirment que la minorité francophone est constamment menacée d’assimilation.  Les intimés ont présenté une preuve, acceptée par la Cour divisionnaire, pour démontrer que les institutions d’une minorité linguistique sont essentielles à la survie et à la vitalité de cette collectivité, non seulement pour ses fonctions pratiques, mais également pour l’affirmation et l’expression de l’identité culturelle et du sentiment d’appartenance.  Les intimés soutiennent que Montfort est une de ces institutions.

(2) Le mandat de la Commission de restructuration des services de santé

8. (1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut constituer un organisme nommé Commission de restructuration des services de santé en français et Health Services Restructuring Commission en anglais.

[…]

(8) Les pouvoirs et les fonctions attribués à la Commission en vertu de la présente loi ou de toute autre loi sont des pouvoirs et des fonctions concernant l’élaboration, l’établissement et le maintien d’un système de soins de santé efficace et adéquat ainsi que la restructuration des services de soins de santé qui sont fournis dans les collectivités de l’Ontario compte tenu des rapports des conseils régionaux de santé à l’égard de ces collectivités.  [Soulignement ajouté.]

[9]               Ainsi, le par. 8(8) de la Loi sur le ministère de la Santé prévoit expressément que toute commission établie en vertu de la disposition doit exercer ses pouvoirs et ses fonctions « compte tenu des rapports des conseils régionaux de santé » pour la collectivité en cause.

[10]          Par règlement (Règl. de l’Ont. 88/96) adopté le 21 mars 1996, le gouvernement de l’Ontario a énoncé les pouvoirs et les fonctions de la Commission visés au par. 8(8) de la Loi : [1]


            [TRADUCTION]

   

1.       (1) La Commission exerce les fonctions suivantes :

   

                        1.

 

Examiner les plans de restructuration d’hôpitaux locaux fournis par le ministère et tout autre renseignement ayant trait aux plans qu’elle juge opportun.

 

                        2.

 

Déterminer quels plans de restructuration d’hôpitaux locaux fournis par le ministère seront mis en œuvre et modifier ces plans ou y faire des ajouts si elle estime que l’intérêt public le justifie.

 

                        3.

 

Déterminer le calendrier et le mode de mise en œuvre des plans de restructuration d’hôpitaux locaux.

 

                        4.

 

Établir des lignes directrices concernant les observations qui peuvent être faites à la Commission par un hôpital qui a reçu l’avis, visé au paragraphe 6 (5) de la Loi sur les hôpitaux publics, suivant lequel la Commission a l’intention d’émettre une directive ordonnant à l’hôpital de cesser ses activités ou de fusionner avec un autre hôpital.

 

                        5.

 

Fournir au ministre des rapports trimestriels sur la mise en œuvre des plans de restructuration d’hôpitaux locaux.

 

                        6.

 

Conseiller le ministre lorsque la Commission est d’avis qu’il y a lieu d’élaborer un plan de restructuration d’hôpital local pour un hôpital en particulier ou pour deux ou plusieurs hôpitaux dans une zone géographique.

 

                        7.

 

Si un hôpital n’exécute pas une directive émise par la Commission en vertu de l’article 6 de la Loi sur les hôpitaux publics, conseiller le ministre quant aux mesures appropriées, y compris la nomination d’enquêteurs en vertu de l’article 8 de la Loi sur les hôpitaux publics et des superviseurs en vertu de l’article 9 de cette loi.

 
  (2) Les lignes directrices établies en application du sous-paragraphe 4 (1) énoncent la manière de présenter des observations et la procédure à suivre à cet égard.
  (3) La Commission peut exercer les pouvoirs qui sont nécessaires à l’exercice de ses fonctions, y compris les pouvoirs suivants :

                        1.

 

Consulter les fournisseurs de services de soins de santé et toute autre personne que la Commission estime nécessaire pour déterminer :

 

                             i.

 

quels plans de restructuration d’hôpitaux locaux fournis par le ministère seront mis en œuvre;

 

                             ii.

 

s’il y a lieu de modifier un plan de restructuration d’hôpital local ou d’y faire des ajouts et la manière de le faire, le cas échéant;

 

                             iii.

 

le calendrier de mise en œuvre d’un plan de restructuration d’hôpital local;

 

                             iv.

 

le mode de mise en oeuvre d’un plan de restructuration d’hôpital local.

 

                        2.

 

Exercer tout pouvoir prévu à l’article 6 ou au paragraphe 9 (10) de la Loi sur les hôpitaux publics attribué à la Commission par règlement pris en vertu de cette loi.

 

                        3.

 

Conseiller le ministre quant à la révocation d’un permis en vertu de l’article 15.1 de la Loi sur les hôpitaux privés.

 

                        4.

 

Conseiller le ministre sur toute question concernant l’élaboration, l’établissement et le maintien d’un système de soins de santé efficace et adéquat ainsi que la restructuration des services de soins de santé qui sont fournis dans les collectivités de l’Ontario.

[Soulignement ajouté]

 

[11]          L’article 6 de la Loi sur les hôpitaux publics, L.R.O., 1990, c. P.40, a été réédicté et modifié en 1996 (L.O. 1996, c. 1, annexe F, art. 6) et prévoit maintenant que « s’il estime que l’intérêt public le justifie », le ministre (et la Commission à sa place) est autorisé à donner l’ordre aux hôpitaux publics de « cesser [leurs] activités à titre d’hôpital public », de fusionner avec d’autres hôpitaux, de « cesser de fournir des services précisés », d’« augmenter ou diminuer le niveau ou la quantité des services précisés », ou de « fournir des services précisés à un niveau ou selon une quantité précisés » [soulignement ajouté].  Ces modifications conféraient à la Commission le pouvoir d’émettre des directives aux conseils d’hôpitaux publics fondées sur de larges considérations d’« intérêt public ».  L’article 6 prévoit en partie :

6. (1) Le ministre peut, s’il estime que l’intérêt public le justifie, ordonner au conseil d’un hôpital de cesser ses activités à titre d’hôpital public au plus tard à la date indiquée dans l’ordre.

   (2) Le ministre peut, s’il estime que l’intérêt public le justifie, ordonner au conseil d’un hôpital de prendre, au plus tard à la date indiquée dans l’ordre, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

            1. Fournir des services précisés à un niveau ou selon une quantité précisés.

            2. Cesser de fournir des services précisés.

            3. Augmenter ou diminuer le niveau ou la quantité des services précisés.

   (3) Le ministre peut, s’il estime que l’intérêt public le justifie, ordonner aux conseils de deux hôpitaux ou plus de prendre toutes les mesures nécessaires à leur fusion aux termes de l’article 113 de la Loi sur les personnes morales au plus tard à la date indiquée dans l’ordre

[…]

(7) Le ministre peut, s’il estime que l’intérêt public le justifie, modifier ou révoquer l’ordre donné en vertu du présent article.

[…]

[Soulignement ajouté.]

[12]          Le 29 mars 1996, par décret, le gouvernement de l’Ontario a établi la Commission et a nommé le docteur Duncan G. Sinclair au poste de président de la Commission.

[13]          La Loi sur le ministère de la Santé, modifiée par la Loi sur les économies et la restructuration, prévoyait expressément qu’au terme de la période pour laquelle la Commission avait été établie (quatre ans), les nominations de ses membres seraient révoquées et la Commission cesserait d’exercer des fonctions ou des pouvoirs (par. 8(10)).  C’est ce qui est arrivé et le ministère de la Santé exerce maintenant les pouvoirs anciennement délégués à la Commission.

(3) La démarche suivie par la Commission

[14] La démarche établie par la Commission consistait à effectuer un examen initial, à émettre un avis d'intention sur ses directives proposées, à consulter le public et solliciter ses commentaires, à publier un rapport, puis à émettre ses directives pour la mise en œuvre des recommandations du rapport.

a)        Le premier rapport de la Commission

[15]          Le premier rapport de la Commission a été publié en février 1997.  La Commission (« CRSS ») a décrit son mandat en ces termes :

Le mandat de la Commission

Eu égard à l'ampleur de sa tâche et au peu de temps et de moyens dont la Commission dispose pour la mener à bien, son mandat et la manière dont elle s'en acquittera sont les suivants :

      1. Le mandat de la Commission consiste à :

·          décider de la restructuration des hôpitaux, y compris les hôpitaux psychiatriques provinciaux, puis émettre des directives ordonnant la fermeture ou la fusion d’établissements, le transfert de programmes ou d’autres mesures qu’elle juge nécessaires pour aboutir à cette restructuration;

·          faire des recommandations au ministre de la Santé quant à la manière d’améliorer l’efficacité et la rentabilité des autres éléments du système de santé, et notamment leur rapport coût-efficacité, tout en préservant ou en rehaussant la qualité des services offerts;

·          déterminer quels sont les réinvestissements de fonds au sein des collectivités qui pourront contribuer à la création d’un système de santé complet et intégré à l’échelle des districts et des régions.

2.      La Commission exécutera son plan de travail dans les plus brefs délais, suivant un échéancier prévoyant l’accomplissement de son mandat en l’espace de quatre ans.

3.      La Commission évaluera les options envisageables pour amener le changement par rapport à trois critères :

·           le maintien, voire l’amélioration de la qualité des services,

·           le maintien, voire l’amélioration de l’accessibilité des services,

·           le coût abordable des services.

[16]          On notera que les critères d’évaluation prévus ne comprenaient pas le maintien ou l’amélioration de la prestation des services de santé en français.

[17]          Le rapport était divisé en six sections plus les recommandations.  La section I fournissait un profil de la région d’Ottawa-Carleton.  Sous cette rubrique, la Commission a noté que d’après les données du recensement de 1991, la population de la région d’Ottawa-Carleton comptait 18,4 % de francophones.  La Commission a indiqué que dans les comtés voisins desservis par les hôpitaux d’Ottawa-Carleton, la population francophone était de 20,9 %.  (Ce chiffre est considérablement moins élevé que le chiffre avancé par le Conseil régional de santé de l’est de l’Ontario, soit 44 %.) Plusieurs travailleurs d’Ottawa vivent au Québec.  Dans son rapport, la Commission a noté que la population de l’ouest québécois (région de l’Outaouais) représentait une part importante des utilisateurs des services hospitaliers d’Ottawa.  Parmi les hôpitaux communautaires, Montfort était l’hôpital utilisé par la vaste majorité des résidents du Québec.  En chiffres réels, deux hôpitaux d’enseignement, l’Hôpital général d’Ottawa et l’Hôpital Civic d’Ottawa, avaient un nombre d’admissions plus élevé de patients du Québec, particulièrement pour les soins de niveaux secondaire et tertiaire.  Les auteurs du rapport ont affirmé ce qui suit, à la p. 12 :

L’accès à des services respectant les exigences culturelles et linguistiques de cette population est un facteur important dont il faut tenir compte dans la reconfiguration des services de santé de la région.

[18]          Toutefois, plus loin dans son rapport, la Commission a ajouté ce qui suit (aux pp. 41 et 42) :

Il est important de se rappeler que l’estimation de l’utilisation des services hospitaliers par une clientèle québécoise n’a aucune incidence sur les coûts de fonctionnement ou les économies que la Commission considère réalisables dans ce domaine.  Par ailleurs, dépendamment de la capacité de lits excédentaire dans le système à l’heure actuelle, l’utilisation des services de santé ontariens par une clientèle québécoise restera vraisemblablement sans incidence sur les coûts en capital. 

[19]          La section II donnait un aperçu général du système actuel de prestation des soins de santé dans le tableau suivant :

Les rôles des établissements d’Ottawa-Carleton

Établissements

Rôle actuel

Hôpital Civic d’Ottawa

Soins actifs : Hôpital d’enseignement et de soins tertiaires pour adultes, abritant l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et l’Institut de recherches médicales Loeb

Hôpital Général d’Ottawa

Soins actifs : Hôpital d’enseignement et de soins tertiaires pour adultes, abritant l’Institut de l’œil de l’Université d’Ottawa – désigné comme établissement de langue française

Hôpital pour enfants de l’Est de l’Ontario (HEEO)

Soins actifs : Hôpital d’enseignement pédiatrique, doté d’un service des urgences

Hôpital Queensway-Carleton

Soins actifs : Hôpital communautaire, doté d’un service des urgences

Hôpital Riverside

Soins actifs : Hôpital communautaire, doté d’un service des urgences

Hôpital Montfort

Soins actifs : Hôpital communautaire, doté d’un service des urgences – Désigné comme établissement de langue française

Hôpital Grace

Soins actifs : Hôpital communautaire sans service des urgences

Services de santé Royal Ottawa (SSRO)

Spécialités : Réadaptation et psychiatrie (avec un service des urgences), Hôpital (2 emplacements)

Sœurs de la Charité d’Ottawa (SCO)

Soins aux malades chroniques : hôpital à plusieurs établissements offrant des soins aux malades chroniques, des services de réadaptation aux malades chroniques, des soins palliatifs et des soins de relève

Centre de santé Perley et Rideau pour anciens combattants

Soins de longue durée : établissements à plusieurs établissements désormais fusionnés sur un seul, avec pour nouveau rôle la prestation de soins à long terme de niveaux différents

Centre médical de la Défense nationale

Soins actifs : établissement fédéral, ne touchant plus aucune subvention du ministère de la Santé de l’Ontario (soins prodigués aux malades exclus des statistiques relatives à la prestation de soins actifs dans la région d’Ottawa-Carleton)

[20]          Dans son rapport, la Commission a noté que tous les hôpitaux de soins actifs pour adultes, à l’exception de l’Hôpital Royal Ottawa, ont des lits de soins médicaux et chirurgicaux et offrent une vaste gamme de soins primaires et secondaires spécialisés en médecine et en chirurgie.  Les soins actifs pour adultes comprennent l’intervention en cas de crise ou d’urgence, l’évaluation et les admissions à court terme, le traitement et les services de référence.  L’Hôpital Civic d’Ottawa et l’Hôpital Queensway Carleton fournissent presque la moitié des services d’urgence dans la région d’Ottawa-Carleton.  Les services tertiaires et autres services hautement spécialisés pour adultes tendent à être concentrés dans les deux hôpitaux d’enseignement, c’est-à-dire l’Hôpital Civic d’Ottawa et l’Hôpital général d’Ottawa.  Parmi les hôpitaux communautaires, Montfort paraît avoir le volume le plus élevé d’activités de soins aux malades externes et de soins cliniques.

[21]          Dans son rapport, la Commission a noté que la région d’Ottawa-Carleton disposait d’un centre universitaire des sciences de la santé appuyé par l’Université d’Ottawa.  Le rôle de Montfort comme établissement d’enseignement et de formation de fournisseurs de soins de santé en langue française n’a pas été mentionné et la Commission n’a pas non plus reconnu son rôle clinique d’appui aux programmes de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa destinés aux fournisseurs francophones de soins de santé.

[22]          Dans sa description de l’emplacement physique de Montfort, la Commission a noté que l’hôpital était en bon état, bien qu’une partie de ses locaux ne soient pas climatisés.  Selon le rapport, l’hôpital présente des faiblesses tant sur le plan de la gestion des dossiers médicaux que de l’aménagement de l’unité des services psychiatriques; toutefois, la Commission a reconnu dans son rapport, à la p. 23, que « [l’]hôpital a été construit de sorte à pouvoir facilement l’agrandir à la verticale et il y a largement assez de place autour de l’édifice pour permettre son agrandissement à l’horizontale. » Après l’Hôpital général d’Ottawa, Montfort a obtenu le rang le plus élevé sur l’échelle élaborée par la Commission pour l’évaluation des installations.

[23]          À la p. 20 de son rapport, sous la rubrique « Les services en français », la Commission a affirmé :

L’Hôpital Montfort, l’Hôpital Ottawa Général, le Centre de réadaptation et le Pavillon Saint-Vincent sont tous désignés bilingues en vertu de la Loi sur les services en français.  Une désignation partielle touche quatre autres établissements, ou plus exactement certains de leurs programmes : l’HEEO, l’Hôpital Civic d’Ottawa, l’Hôpital Royal Ottawa (réadaptation psychiatrique) et l’Hôpital Riverside (programme d’aide aux victimes d’agression sexuelle).

[24]          Dans son rapport, la Commission n’a pas reconnu que Montfort est le seul hôpital communautaire qui fournit des services en français à plein temps.  L’Hôpital général d’Ottawa est un hôpital d’enseignement mais, bien qu’il soit désigné sous le régime de la L.S.F., il ne peut offrir le service en français vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine.  Le Centre de réadaptation et le Pavillon Saint-Vincent sont des établissements spécialisés qui n’offrent pas de soins de santé généraux.  Les autres centres n’ont qu’une désignation partielle.

[25]          La section III du rapport renfermait un résumé du rapport du Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton et de ses recommandations à la Commission.  L’une des recommandations clés du Conseil régional de santé était de fusionner l’Hôpital Civic d’Ottawa et l’Hôpital général d’Ottawa, ce qui aurait comme résultat de créer un seul hôpital à deux emplacements.  Une autre recommandation (reproduite à la p. 29 du rapport de la Commission) soulignait la nécessité de:

reconnaître et encourager le rôle unique et crucial que joue l’Hôpital Montfort en tant qu’établissement qui offre des services majoritairement en français aux résidents francophones de la région, des régions avoisinantes et du reste de la province et qui assume des fonctions d’hôpital d’enseignement en français.

[26]          Il convient de noter que dans un passage ultérieur de son rapport portant sur les services de santé mentale, la Commission a entériné la conception du Conseil régional de santé en matière de prestation des services de santé mentale dans la région d’Ottawa-Carleton; affirmant que cette vision était « similaire » à la sienne, la Commission a cité (aux pp. 52 et 53) un passage d’un rapport antérieur du Conseil régional de santé qui renfermait l’affirmation suivante :

La conception du système se basera sur la nécessité de planifier et d’offrir des services en français comparables sur le plan de la qualité et de la facilité d’accès aux services en anglais, conformément à la politique linguistique du Conseil régional de santé et aux exigences auxquelles est soumise une région désignée pour l’application de la Loi sur les services en français.

[27]          Dans la section IV du rapport, la Commission a passé en revue les critères de décision et l’évaluation des options envisagées par la Commission pendant son examen. À la p. 42 de son rapport, la Commission a constaté qu’il y avait un écart important entre les lits opérationnels à l’heure actuelle et les besoins réels, ce qui donne lieu à « de nombreuses possibilités de restructurer les services hospitaliers à Ottawa-Carleton ». Dans son rapport, la Commission a recommandé qu’il y ait un hôpital communautaire/ tertiaire (un hôpital issu de la fusion de l’Hôpital Civic et de l’Hôpital général, y compris l’Institut de cardiologie), un hôpital communautaire (Carleton-Queensway), un hôpital pédiatrique (HEEO), un centre de soins chroniques/réadaptation (emplacement des Sœurs de la Charité d’Ottawa) et un centre de soins de longue durée en santé mentale (Royal Ottawa).  Les hôpitaux Montfort, Riverside et Grace devaient être fermés.

[28]          La section V décrivait les besoins en investissement de capitaux de la Commission.

[29]          La section VI renfermait un résumé des décisions et des directives projetées de la Commission.  Sous la rubrique « L’option préconisée pour les activités cliniques », la Commission a affirmé ce qui suit, à la p. 96 :

L’option préconisée pour les activités cliniques consiste à les répartir sur quatre emplacements, autrement dit d’utiliser les capacités actuelles de l’Hôpital Général d’Ottawa, de l’Hôpital Civic d’Ottawa, de l’Hôpital pour enfants de l’est de l’Ontario et de l’Hôpital Queensway-Carleton.  Cette option entraîne la fermeture des services de soins actifs aux emplacements suivants : à l’Hôpital Riverside, à l’Hôpital Montfort et à l’Hôpital Grace de l’Armée du Salut.

[30]          Ainsi, à l’exception de Queensway-Carleton, un établissement non désigné sous le régime de la L.S.F., tous les hôpitaux communautaires devaient être fermés.  L’Hôpital Général d’Ottawa et les Hôpitaux Civic, Riverside et Montfort devaient être fusionnés.   L’activité clinique de Montfort devait être transférée à l’Hôpital Général et ses soins psychiatriques devaient être transférés à l’Hôpital Royal d’Ottawa.

[31]           Sous la rubrique « Poursuite des activités de planification et de recherche », la Commission a affirmé, à la p. 101, qu’elle « étudiera par ailleurs la possibilité d’utiliser à l’avenir l’Hôpital Riverside et l’Hôpital Montfort comme établissements de soins de longue durée ou de soins aux malades chroniques ».

[32]          Même si le mandat législatif de la Commission sous le régime de la Loi sur le ministère de la Santé (modifiée par la Loi sur les économies et la restructuration) l’obligeait à tenir compte des rapports des conseils régionaux de la santé pour la collectivité touchée, la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas tenu compte des recommandations du Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton à l’égard du rôle unique de Montfort comme hôpital d’enseignement et de la prestation des services de soins de santé à la population francophone, non seulement dans la région mais ailleurs dans la province.

b)        La réaction de la collectivité envers le premier rapport

[33]          Le premier avis d’intention de la Commission et ses directives subséquentes ont suscité un véritable tollé.  Beaucoup d’efforts ont été déployés pour sensibiliser la Commission aux effets qu’auraient ses recommandations sur la population francophone, non seulement dans Ottawa-Carleton, mais également dans les cinq comtés voisins de l’Est ontarien.  Voici un extrait de la réponse, donnée en avril 1997, par le Conseil régional de santé de l’est de l’Ontario à la Commission :

[TRADUCTION]

Services de santé en français

      Comme l’indique la CRSS dans son rapport (tableau à la page [12]), le français est la langue maternelle de 44 % de la population des cinq comtés de l’est de l’Ontario.  Le français est la langue de la majorité dans les comtés Prescott-Russell à 76 % et 67 %, respectivement et c’est la langue d’une minorité importante dans Glengarry (38 %) et Stormont (30 %).  À l’intérieur du territoire qui relève du Conseil régional de santé de l’Est de l’Ontario, les comtés de Prescott, Russell, Stormont et Glengarry, la ville de Cornwall et le canton de Winchester dans le comté de Dundas sont désignés sous le régime de la Loi sur les services en français (L.S.F.).  Par conséquent, la planification et l’élaboration des services de santé doivent être conformes aux dispositions de la loi. 

a)   Le respect de la culture et de la langue

      Bien que le rapport mentionne la représentation de la collectivité et une considération pour les caractéristiques démographiques, linguistiques et culturelles de la région d’Ottawa-Carleton en plus d’identifier les établissements qui ont une désignation complète ou partielle sous le régime de la L.S.F., la Commission ne prend pas totalement en considération les objectifs de la loi.  La L.S.F. a pour objectif d’aider à protéger la langue et la culture françaises en Ontario longtemps dans l’avenir.  Cette loi reconnaît également le désir de la collectivité francophone de faire reconnaître la contribution de longue date de leur langue et de leur culture soit reconnue.  Les services de santé en français sont essentiels au développement de la collectivité francophone ainsi qu’à sa reconnaissance en tant que partenaire égal et à part entière.  Une collectivité est assimilée lorsque sa langue et sa culture sont invisibles pour ses propres membres et pour la société en général.

Recommandation : Que la CRSS prenne en considération le besoin de sauvegarder l’Hôpital Montfort, puisqu’il s’agit du seul hôpital dont la langue de fonctionnement est le français et qui sert les collectivités francophones d’Ottawa-Carleton et du comté de Russell.

b)  Disponibilité de professionnels de la santé francophones

      La permanence et la qualité des services de santé en français sont déterminées par la disponibilité de professionnels de la santé francophones.  Reconnaissant cette réalité, le gouvernement de l’Ontario a établi le « Programme d’études Ontario-Québec – services de santé » pour accroître le nombre de professionnels de la santé francophones en mesure de fournir des services de santé en français.  En présentant une demande pour participer à ce programme, les Ontariens francophones accroissent leurs chances d’être admis dans des programmes d’études contingentés dans le domaine de la santé au Québec qui ne sont pas offerts en français en Ontario.  Depuis quelques années, le nombre de collèges et d’universités ontariens qui offrent des études dans le domaine de la santé en français a également augmenté, incitant encore plus d’étudiants francophones en Ontario à faire carrière dans ce domaine.

      Malheureusement, pour ce qui est du volet des soins cliniques, très peu d’hôpitaux en Ontario sont en mesure d’offrir un milieu dans lequel des étudiants francophones peuvent réellement travailler en français.  Si un tel milieu de travail n’est pas disponible en Ontario, les initiatives susmentionnées semblent futiles.  Une telle situation a pour effet de perpétuer la dépendance de l’Ontario à l’égard de sources extérieures pour fournir une formation en français.

Recommandation : Que la CRSS tienne compte du besoin de maintenir l’Hôpital Montfort pour son rôle unique, c’est-à-dire de fournir un milieu où des étudiants francophones qui poursuivent des études en français dans le domaine de la santé puissent obtenir leur formation en français en Ontario.

[Aux pp. 6 à 8, soulignement dans le texte original.]

[34]          En plus de la réponse du Conseil régional de santé de l’est de l’Ontario, le Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton, la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et Montfort ont déposé leurs réactions aux recommandations de la Commission. Tous ont souligné que si les recommandations de la Commission étaient mises en œuvre, l’accès aux services de santé en français serait plus difficile et la formation des professionnels de la santé en français serait compromise.  Ils ont recommandé que Montfort continue de fournir son éventail complet de services.

[35]          Dans sa réaction au rapport, le Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton a réaffirmé le statut « unique » de Montfort et a recommandé que Montfort demeure ouvert parce qu’il fournit un milieu dans lequel les clients francophones et leurs familles peuvent avoir accès en tout temps à des employés qui offrent des services en français.  Le Conseil a également souligné le rôle important de Montfort dans la formation du personnel médical francophone.

[36]          Le Conseil a également noté que la Commission avait recommandé la fermeture de l’hôpital psychiatrique à Brockville et le transfert des patients en psychiatrie de longue durée de Brockville à l’Hôpital Royal Ottawa.  Le Conseil a signalé qu’il n’y avait aucune garantie que des services en français soient offerts aux patients francophones en psychiatrie à l’Hôpital Royal Ottawa parce que cet établissement n’était pas désigné sous le régime de la L.S.F. et qu’au moins une unité allait devoir être désignée sous le régime de cette loi.

c)   Le rapport final de la Commission

[37]          Le rapport « final » de la Commission a été publié en août 1997.  L’introduction renfermait un « résumé des directives, conseils et avis principaux » (à la p. 8).  Les rubriques 2 et 3 concernent Montfort.  La Commission y affirme ce qui suit :

2.         L’Hôpital Montfort sera maintenu avec une structure de gestion administrative distincte et représentative de la collectivité qu’il sert.

·          Il offrira les soins ambulatoires, les chirurgies d’un jour, les soins obstétricaux à faible risque, les soins de santé mentale actifs et de longue durée, et les soins standard de longue durée.

·          Un réseau des services de santé en français de la région d’Ottawa-Carleton sera créé sous la direction de l’Hôpital Montfort, ce qui devrait faciliter la prestation des services en français dans les autres hôpitaux et organismes.

[TRADUCTION]

3.         L’Hôpital Montfort et les Sœurs de la Charité d’Ottawa devront maintenir leur désignation d’approvisionnement de services de santé en français; et l’Hôpital pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) et L’Hôpital d’Ottawa/The Ottawa Hospital (emplacement Alta Vista, IC et CR) seront obligés d’obtenir une désignation d’approvisionnement de services de santé en français.

[38]          La deuxième section du rapport était intitulée « Services de santé en français » et prévoyait ce qui suit, aux pp. 10 à 12 :

L’objectif de la CRSS, en proposant la fusion de deux prestataires de services en français totalement désignés, soit l’Hôpital Montfort et l’Hôpital Général d’Ottawa, était d’offrir, à un seul endroit, une masse critique plus grande et une cohérence sur le plan des services disponibles en français.  Les structures administratives de l’hôpital fusionné et des autres établissements seraient établies de façon à refléter les réalités linguistiques, culturelles, socio-économiques et démographiques de la collectivité.

Principales questions soulevées dans les réponses aux avis

·          La fermeture de l’Hôpital Montfort :

-  limitera l’accès aux services en français;

-  est perçue comme une atteinte aux droits linguistiques;

-  provoquera la dissolution et l’assimilation des professionnels francophones de la santé;

-  mettra fin à la formation médicale en français et privera la collectivité de professionnels de la santé francophones.

·          La fusion de deux établissements bilingues avec deux établissements unilingues affaiblira la structure des services en français.

·          Les besoins des patients recevant des soins de longue durée et des soins de santé mentale ne sont pas totalement pris en considération.

·          On ne tient pas compte de la fréquentation de l’Hôpital Montfort par la collectivité de Prescott et Russell.

Délibérations de la CRSS

Beaucoup de membres de la collectivité craignaient que la proposition de fermeture de l’Hôpital Montfort ne réduise de façon significative l’accessibilité aux services offerts en français.  Dans son ébauche des avis diffusés au mois de février, la CRSS s’est penchée sur la question de l’accès aux services en français.  La CRSS appuie totalement le droit qu’ont les gens de recevoir des services en français et appuie sa décision sur la Loi sur les services en français.

La CRSS est d’avis que l’accès aux services en français dépend de plusieurs facteurs, notamment :

·           la désignation des établissements et des programmes;

·           la proximité des prestataires de leurs patients;

·           l’existence d’un environnement francophone pour la formation en matière de santé.

« Chacun a droit à l’emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale d’un organisme gouvernemental ou d’une institution de la Législature désignés par les règlements (par exemple, hôpitaux, établissements de soins de longue durée, centres de santé communautaires, programmes de santé mentale, services liés à la toxicomanie, etc.) et pour en recevoir les services.  Chacun jouit du même droit à l’égard de tout autre bureau de l’organisme ou de l’institution qui se trouve dans une région désignée à l’annexe ou qui sert une telle région. »

Le processus par lequel un hôpital obtient le mandat d’offrir des services en français se nomme « désignation » […] .

Selon le plan de désignation des services de santé en français du ministère de la Santé, l’organisme qui désire obtenir la désignation doit prouver que tous les services visés par la désignation sont disponibles en français de façon permanente.  Le plan doit démontrer la disponibilité et la permanence de ces services.

[…]

Bien que les hôpitaux doivent répondre à certains critères pour être désignés partiellement ou totalement, le niveau de services offerts en français, qu’il soit primaire, secondaire ou tertiaire, peut varier considérablement d’un programme à l’autre ou d’un établissement à l’autre.  Par exemple, à l’Hôpital Montfort la langue choisie dans la conduite des affaires est principalement le français.

[Soulignement ajouté]

[39]          En ce qui a trait à sa décision de revenir sur sa directive proposée de fermer Montfort, la Commission a affirmé, à la p. 12, que « [l’]un des arguments les plus convaincants qu’a entendus la [Commission] en faveur du maintien de l’Hôpital Montfort en tant qu’établissement autonome est qu’il faut maintenir un environnement de travail où le français prédomine afin de favoriser l’épanouissement des professionnels de la santé francophones ».  La Commission a reconnu ce qui suit, à la p. 13 :

La fermeture de l’Hôpital Montfort aurait des conséquences graves sur la qualité des programmes de formation en français, tant au niveau collégial qu’universitaire, puisque c’est le seul établissement où les stagiaires sont assurés d’obtenir toute leur formation en français, y compris les cours, la tenue de dossiers et les consultations.  Dans un environnement bilingue, certains aspects de la formation ne seront pas offerts en français en tout temps.  [Soulignement ajouté.]

[40]          La Commission a formulé les commentaires suivants sur l’éducation et la formation des fournisseurs francophones de soins de santé, aux pp. 82 à 83 :

Les étudiants en médecine et les stagiaires de troisième cycle du secteur clinique de l’Ontario ne peuvent plus faire leurs études de médecine au Québec.  Pour répondre à leurs besoins d’éducation, les établissements d’Ottawa peuvent désormais offrir leurs services en français comme en anglais.

Les établissements d’enseignement postsecondaire et ceux qui sont affiliés à ces établissements ont la responsabilité et la capacité de former toute une gamme de professionnels de la santé en français.  Ces professionnels peuvent alors s’engager dans une brillante carrière dans le secteur des soins de santé, non seulement dans les hôpitaux locaux, mais aussi dans les collectivités de l’est et du nord de l’Ontario, où la langue prédominante est le français.  L’Université d’Ottawa joue un rôle essentiel dans l’éducation des professionnels de la santé francophones.  Elle est le seul établissement en Ontario qui peut former les professionnels francophones suivants : audiologistes, phoniatres, physiothérapeutes, ergothérapeutes, médecins (généralistes et spécialistes), infirmières de première ligne, infirmières au niveau de la maîtrise qui offrent des services spécialisés, et psychologues cliniciens au  niveau du Ph.D.  L’Université et ses établissements affiliés peuvent également offrir des programmes d’études bilingues à certains spécialistes.

Pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés par l’Université, les étudiants en médecine francophones doivent suivre la majeure partie de leurs études et de leur formation en environnement francophone.  Pour pouvoir offrir en français les programmes professionnels liés à la médecine et aux autres secteurs de la santé, l’Université doit non seulement recruter des étudiants qui parlent couramment l’anglais et le français, mais aussi disposer d’une masse critique d’éducateurs cliniciens qui travailleront en étroite collaboration avec ces étudiants dans le cadre d’équipes francophones multidisciplinaires.  Selon les responsables de l’Université, l’environnement nécessaire à la formation clinique devrait comprendre :

·           des patients francophones souffrant de divers types de maladies;

·           l’accès à des programmes pour hospitalisés ou malades externes;

·           un hôpital communautaire francophone;

·          une équipe multidisciplinaire francophone composée d’un médecin du personnel, d’un interne, d’une infirmière, d’un travailleur social, d’un physiothérapeute, etc.;

·          un environnement de travail francophone, où la tenue des dossiers médicaux et les communications se font en français;

·          des services de soutien en français (par exemple les laboratoires et les services de diagnostic);

·          des services administratifs offerts en français;

·          une infrastructure adéquate (salles de réunion, ordinateurs, etc.);

·          des textes médicaux en français.

En outre, il faut que les étudiants, avant d’entamer leur programme de formation destiné aux professionnels de la santé, parlent couramment français.  Il faut également que l’Université, l’hôpital auquel elle est associée et les autres établissements créent et maintiennent certains « volets » du programme d’études qui permettront aux étudiants de renforcer leurs connaissances linguistiques durant leurs études de premier et de deuxième cycle, que ce soit en médecine ou dans d’autres secteurs de la santé.  Il faut que l’établissement et ses étudiants s’engagent fermement à respecter le programme d’études qui produira des diplômés appelés à pratiquer leur profession dans un environnement francophone ou bilingue.

L’Énoncé de mandat de l’Université d’Ottawa contient notamment la disposition suivante :

[Elle affirme sa volonté :]
de maintenir et de développer, en français et en anglais, le plus large éventail possible de programmes d’enseignement et de recherche de calibre national et international (et) d’être à l’avant-garde du développement de l’enseignement, de la recherche et des programmes conçus expressément pour les francophones de l’Ontario.

En réponse au rapport de février, l’Université d’Ottawa a reconnu qu’elle avait certaines obligations envers les collectivités de l’est et du nord-est de l’Ontario.  Elle reconnaît également qu’il lui faut veiller à ce que les services de santé des établissements bilingues soient offerts par un personnel humain et attentionné qui applique les normes les plus élevées possibles.

Pour répondre aux besoins spéciaux des étudiants en médecine et des stagiaires cliniciens de deuxième cycle francophones, l’Université a recruté un vice-doyen chargé de diriger un Bureau des affaires francophones, créé des programmes d’études axés sur la formation en petits groupes et l’apprentissage basés sur les problèmes, pris des arrangements avec l’Hôpital Montfort afin de créer un milieu de formation francophone, et rédigé un plan d’action quinquennal portant sur un programme médical en français.

L’université a également créé un programme d’internat de deuxième cycle en médecine familiale pour les diplômés francophones, et recrute activement des étudiants et des employés francophones […]

[Soulignement ajouté.]

[41]          Toutefois, le rapport du mois d’août de la Commission (CRSS) a considérablement touché la configuration du programme de Montfort.  L’extrait suivant, tiré des pp. 16 et 17 du rapport, portait sur les programmes offerts par Montfort et sur la proposition en vue de les changer :

Le programme de psychiatrie est celui qui a accueilli le plus grand nombre de patients à l’hôpital en 1995-1996.  L’hôpital offre des soins psychiatriques actifs et de longue durée.  La CRSS est d’avis qu’il faut continuer à offrir, dans un environnement francophone, des services de santé mentale en français à l’Hôpital Montfort afin de répondre aux besoins des personnes unilingues francophones.

Le deuxième programme qui a accueilli le plus grand nombre de personnes à l’Hôpital Montfort en 1995-1996 est le programme de cardiologie.  Afin d’assurer la fusion des services cardiologiques et de soins cardiaques, la CRSS demandera que le programme soit transféré à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et que l’Institut devienne totalement désigné aux termes de la Loi sur les services en français le plus tôt possible.  L’Institut de cardiologie, qui possède une masse critique et un grand nombre d’experts, sera en mesure d’offrir aux patients toute une gamme de services liés aux soins cardiaques.  Le regroupement des services aux patients dans un établissement permettra de réduire les transferts et accélérera les interventions chirurgicales lorsque celles-ci seront nécessaires.

L’Hôpital Montfort continuera d’offrir des services de cardiologie aux patients externes.  Afin d’améliorer la communication entre les établissements, l’Institut de cardiologie et l’Hôpital Montfort devraient chercher des moyens efficaces de partager de l’information, particulièrement les diagnostics et les autres renseignements relatifs aux soins des patients.

L’obstétrique à faible risque est un autre des programmes dont l’importance justifie qu’il soit maintenu et amélioré à l’Hôpital Montfort.  […]

Les services de soins de jour et de soins ambulatoires primaires seront également maintenus.  […] La CRSS demandera à l’Hôpital Montfort de s’affilier avec L’Hôpital d’Ottawa/The Ottawa Hospital afin de fournir un soutien pour les services qui ne sont pas offerts 24 heures sur 24 à l’Hôpital Montfort et un soutien clinique pour les programmes qu’elle offre (interventions de jour et obstétrique).

Toutes les autres activités de l’Hôpital Montfort seront transférées à l’établissement Alta Vista de L’Hôpital d’Ottawa/The Ottawa Hospital où les programmes peuvent être intégrés à ceux déjà offerts par l’établissement.

La CRSS appuie fortement le rôle que joue l’Hôpital Montfort en tant qu’établissement francophone de formation et d’enseignement pour les médecins, les stagiaires en médecine familiale et les autres professionnels de la santé.

[42]          En ce qui a trait au rôle de Montfort en tant qu’établissement d’enseignement, la Commission a demandé, à la p. 85, la mise sur pied d’un organisme de coordination universitaire composé des hôpitaux d’enseignement d’Ottawa (Hôpital général et Hôpital Civic) et de l’Université d’Ottawa, avec la participation du Réseau des services de santé en français, un réseau que la Commission a demandé à Montfort de mettre sur pied et de diriger.  L’organisme de coordination universitaire devait être « chargé de veiller à ce que les professionnels de la santé aient accès aux possibilités d’éducation et de formation en français ».  Dans son rapport, la Commission a ajouté, à la p. 85 :

Les internes et les autres professionnels pourront suivre leurs études et leur formation dans un environnement de soins primaires, au sein des services ambulatoires de l’Hôpital Montfort, mais ils auront également besoin d’une formation dans d’autres établissements désignés.  L’Université d’Ottawa, le Réseau des services de santé en français et l’organisme de coordination universitaire devront coordonner cette formation.

[43]          La Commission a donc reconnu qu’à la suite de sa directive, la formation des professionnels de la santé en français serait incomplète à Montfort, puisqu’il ne s’agirait plus d’un hôpital communautaire.

[44]          Pour résumer, Montfort passerait d’un hôpital qui reçoit un financement à titre d’hôpital communautaire général de 196 lits à un hôpital qui reçoit du financement pour 51 lits de soins de santé mentale et 15 lits de soins obstétriques à faible risque.  Il ne fournirait plus de services d’urgence, de soins intensifs et de services chirurgicaux généraux liés à l’hospitalisation de courte durée.  Il n’offrirait plus d’hospitalisation et de traitement de courte durée pour une panoplie de maux en médecine familiale ou en médecine interne.  La cardiologie, son deuxième programme en importance, serait transférée au campus général de l’Hôpital d’Ottawa fusionné et l’Institut de cardiologie qui s’y trouve a reçu la directive d’obtenir une désignation sous le régime de la L.S.F.  Montfort offrirait un « centre de soins d’urgence », une forme de clinique sans rendez-vous et quelques chirurgies d’un jour, des lits de soins obstétriques à faible risque et des services de psychiatrie.

[45]          Bref, Montfort cesserait quand même de fonctionner en tant qu’hôpital communautaire, malgré les recommandations des conseils régionaux de santé du district Ottawa-Carleton et de l’est de l’Ontario, savoir que Montfort devait continuer à exercer ses activités en tant qu’hôpital communautaire pour satisfaire aux besoins de la collectivité francophone.  Bien que l’Université d’Ottawa ait affirmé que le milieu nécessaire à l’enseignement clinique aux professionnels de la santé comprenait un cadre hospitalier communautaire francophone, la Commission n’a pas rétabli les services dont elle avait demandé l’élimination et qui faisaient de Montfort un hôpital communautaire général.  Bien que la Commission ait dit fortement appuyer le rôle de Montfort en tant qu’établissement d’enseignement pour les praticiens en médecine familiale, elle n’a pas rétabli les lits de médecine familiale dont elle avait demandé le retrait de Montfort.  La Commission n’a pas fourni d’explication quant à l’écart entre ses intentions énoncées et ses directives.

[46]          En septembre 1997, le Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton a présenté d’autres observations à la Commission.  Le Conseil a noté que l’ouverture de lits pour les soins de psychiatrie de longue durée à Montfort comblerait une lacune dans les services en français.  Le Conseil a demandé des éclaircissements sur le mandat du Réseau des services de santé en français.  Le Conseil a dit craindre que le rôle diminué de Montfort éliminerait entièrement la possibilité de former certaines catégories de professionnels en français (par exemple, en soins infirmiers et en pharmacologie).  Il a recommandé que Montfort se voie attribuer un nombre suffisant de lits de soins actifs en médecine interne et en médecine familiale pour lui permettre de maintenir la masse critique de patients dont l’hôpital avait besoin pour offrir l’enseignement clinique.  Le Conseil a recommandé en outre à la Commission de confier au groupe de travail chargé de mettre en œuvre les directives un mandat qui comprendrait clairement la responsabilité à l’égard de la prestation des services de santé en français, et que la Commission supervise un plan qui définirait clairement les exigences linguistiques pour tous les postes dans les hôpitaux désignés bilingues.  Le Conseil a demandé que des fonds supplémentaires pour les coûts de la prestation des services dans les deux langues officielles soient affectés de façon continue et permanente pour les établissements désignés sous le régime de la L.S.F.  Enfin, le Conseil a recommandé que pour satisfaire aux exigences de la L.S.F., aucun service ou programme ne soit transféré de Montfort jusqu’à ce que le Conseil, par l’entremise de son comité des services en français, ait confirmé que l’établissement « hôte » satisfaisait aux exigences de la L.S.F.

[47]          Pour donner suite à ces recommandations et à d’autres observations, la Commission a demandé, en juillet 1998, que 22 lits de soins sous-actifs soient attribués à Montfort.  Les soins sous-actifs s’entendent des soins dispensés à un patient qui n’a pas besoin de services de santé actifs, mais qui n’est pas encore prêt à réintégrer son foyer et sa collectivité.  Montfort aurait alors un total de 88 lits.

[48]          En avril 1998, un comité provisoire pour l’établissement du Réseau des services de santé en français a présenté une proposition et un budget préliminaire au ministère de la Santé.  Le ministère y a donné suite en décembre et n’a fourni du financement que pour une seule année indiquant toutefois que du financement pourrait être disponible pour des « activités spécifiques ».

[49]          En février 1999, la Commission a envoyé une lettre à Mme Michelle de Courville Nicol, la présidente du conseil d’administration de Montfort, pour donner suite aux observations selon lesquelles la Commission n’avait pas considéré le rôle institutionnel plus large de Montfort en tant qu’agent pour la sauvegarde de la langue et de la culture des Franco-ontariens et qu’un milieu francophone (par opposition à bilingue) était essentiel à cet égard.  La lettre rédigée par le président de la Commission, le docteur Duncan G. Sinclair, renferme le passage suivant :

[TRADUCTION]  Le débat de ce point de vue ne fait pas partie du mandat de la Commission de restructuration des services de santé.  La politique provinciale actuelle est énoncée dans la Loi sur les services en français, selon laquelle les hôpitaux qui offrent des services en français peuvent être désignés bilingues.

[50]          Montfort et les requérants individuels ont alors présenté une requête à la Cour divisionnaire pour faire annuler les directives de la Commission.

[51]          Après que les requérants eurent intenté leurs procédures, le groupe de coordination de la restructuration pour Ottawa-Carleton a transmis une proposition à la Commission sur les exigences de Montfort quant à ses services d’enseignement et recommandait d’accorder 50 lits de soins actifs à l’hôpital.  La proposition a amené la Commission à accepter d’examiner des renseignements supplémentaires et de participer au processus.  Les deux parties ont retenu les services de deux planificateurs chargés de faire rapport sur la proposition.  La Commission a cessé d’exister par règlement avant que l’affaire n’ait été entendue par la Cour divisionnaire et celle-ci n’a pas reçu les commentaires de la Commission sur les rapports de planification supplémentaires.

III  LE JUGEMENT DE LA COUR DIVISIONNAIRE

[52]          Dans ses motifs d’annulation des directives de la Commission, la Cour divisionnaire a tiré trois importantes conclusions de fait.  Premièrement, la Cour divisionnaire a conclu que les directives de la Commission avaient pour effet de réduire la disponibilité des services de santé en français à la population francophone dans la région d’Ottawa-Carleton, une région désignée bilingue sous le régime de la L.S.F.  Deuxièmement, la Cour divisionnaire a conclu que les directives de la Commission touchaient le programme de formation des médecins en langue française et créaient des obstacles insurmontables à la capacité du personnel médical – les médecins en particulier – de recevoir leur formation pour offrir des services adéquats en langue française.  Troisièmement, la Cour divisionnaire a conclu que la Commission n’avait reconnu l’importance de continuer à offrir des services médicaux en français que sur le plan de la prestation des services bilingues, mais qu’elle n’avait pas évalué l’importance et le besoin d’une institution véritablement francophone, ou considéré le rôle institutionnel plus large que joue Montfort pour aider à protéger la population francophone contre l’assimilation.

[53]          Montfort a présenté trois arguments de droit devant la Cour divisionnaire.  Premièrement, Montfort a plaidé que les directives émises relativement à Montfort violaient l’art. 15 de la Charte.  La Cour divisionnaire a rejeté cet argument, statuant que la différence de traitement alléguée n’était pas fondée sur des motifs analogues à ceux qui sont énumérés dans l’art. 15.  Comme nous l’avons déjà indiqué, Montfort a interjeté un appel incident relativement à cette partie du jugement de la Cour divisionnaire.

[54]          Deuxièmement, Montfort a soutenu que les directives de la Commission devaient être annulées pour des motifs de droit administratif, parce qu’elles étaient manifestement déraisonnables.  La Cour divisionnaire a souligné que son rôle était très limité.  Le seul rôle de la Cour était de déterminer si la Commission avait agi conformément à la loi pour arriver à sa décision.  La Cour divisionnaire a rejeté l’argument selon lequel, mis à part les motifs d’ordre constitutionnel, les directives de la Commission étaient « manifestement déraisonnables » ou « clairement irrationnelles », les critères que les parties reconnaissaient comme étant applicables en l’espèce.  Montfort n’a pas interjeté d’appel incident relativement à cette partie du jugement de la Cour divisionnaire.

[55]          Troisièmement – et il s’agit ici de son argument le plus important – Montfort a plaidé que les directives de la Commission devaient être annulées parce qu’elles violaient l’un des principes structurels fondamentaux de la Constitution, c’est-à-dire le principe du respect et de la protection des minorités – en l’espèce, une minorité qui appartient à l’une des cultures fondatrices de ce pays.  La Cour divisionnaire a accueilli cet argument et a annulé les directives.  À la p. 70, la Cour a conclu que la désignation de Montfort sous le régime de la L.S.F. conférait à la collectivité francophone un droit reconnu par la loi de recevoir des services de santé « dans un milieu vraiment francophone », un droit qui comprenait les établissements nécessaires à l’éducation et à la formation des professionnels de la santé en français.  On retrouve l’essentiel du jugement de la Cour divisionnaire dans ses conclusions, aux pp. 83 et 84 :

Les directives qui visent à remplacer un grand éventail de services médicaux et de formation médicale vraiment francophones à Montfort par des services et de la formation fournis ailleurs dans un milieu bilingue – même si ces installations bilingues semblent bien fonctionner dans certains cas – ne respectent pas le principe sous-jacent de notre Constitution qui exige la protection des droits de la minorité francophone.  Voici ce qui fait défaut dans les délibérations de la Commission et dans les directives qu’elle a émises.

[…]

Vu le mandat constitutionnel de protection et de respect des droits des minorités, – un « principe distinct qui sous-tend notre constitution », une « force normative puissante » – la Commission n’était pas libre d’exécuter seulement son mandat de « restructuration des services de santé », et de faire fi du rôle constitutionnel plus vaste joué par l’Hôpital Montfort en tant que centre vraiment francophone, nécessaire à la progression et à l’amélioration de l’identité franco-ontarienne comme minorité culturelle et linguistique en Ontario et à la protection de cette culture contre l’assimilation.  Nous concluons que c’est ce qu’a fait la Commission.  Par conséquent, ses directives ne peuvent être maintenues.

L’Ontario interjette appel de cette partie du jugement.

IV  QUESTIONS EN LITIGE

[56]          L’Ontario plaide que certaines conclusions de fait essentielles de la Cour divisionnaire étaient erronées.  L’Ontario soutient également que la Cour divisionnaire a commis une erreur de droit en concluant que le statut de Montfort jouissait d’une protection constitutionnelle.  Montfort interjette un appel incident du rejet de l’argument selon lequel les directives de la Commission violent l’art. 15 de la Charte et demande à cette Cour d’adopter le raisonnement de la Cour divisionnaire à l’égard des principes non écrits de la Constitution.  Montfort et les intervenants invoquent également le paragraphe 16(3) de la Charte et la L.S.F.

[57]          Les questions en litige peuvent être résumées comme suit :

(1)      Les conclusions de fait de la Cour divisionnaire sont-elle erronées?

(2)      Le paragraphe 16(3) de la Charte protège-t-il le statut de Montfort à titre d’institution francophone?

(3)      Les directives de la Commission contreviennent-elles à l’article 15 de la Charte?

(4)      Le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités s’applique-t-il à Montfort?

(5)      Les directives de la Commission violent-elles la Loi sur les services en français?

(6)      Les directives de la Commission peuvent-elles faire l’objet d’une révision fondée sur le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités?

V ANALYSE

Partie I : Questions de fait

Première question : Les conclusions de fait de la Cour divisionnaire sont-elles erronées?

[58]          L'Ontario plaide que certaines conclusions de fait cruciales de la Cour divisionnaire sont erronées. Nous notons d'entrée de jeu que Montfort a réussi, par requête, à faire radier de l'avis d'appel certains motifs d'appel liés aux conclusions de fait de la Cour divisionnaire. Toutefois, en rendant cette ordonnance, le juge Charron, J.C.A. a noté dans son inscription qu' [TRADUCTION] " il appartiendra au tribunal de décider de la mesure dans laquelle [les motifs d'appel qui subsistent] nécessiteront un examen du fondement probatoire ". Les tribunaux d'appel sont souvent obligés d'examiner les faits législatifs ou sociaux qui constituent le fondement d'arguments constitutionnels : voir RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, aux pp. 286 à 289, motifs du juge La Forest. Par conséquent, nous sommes disposés à examiner l'argument de l'Ontario suivant lequel la conclusion à laquelle est arrivée la Cour divisionnaire est mal fondée.

a) La réduction de la disponibilité des services de santé en français

[59]          L’Ontario soutient que les directives de la Commission garantissaient que les services de santé qui ne seraient plus disponibles à Montfort continueraient d’être disponibles en français dans d’autres établissements de santé dans la région.  Ces établissements étaient désignés bilingues ou avaient reçu l’ordre de le devenir.  Cette question peut être tranchée sommairement.

[60]          Montfort est le seul hôpital en Ontario qui peut garantir l’accès continu à un large éventail de services de santé de niveaux primaire et secondaire en français.  Les autres établissements de santé dans la région d’Ottawa-Carleton ne peuvent le faire.  Bien que l’Hôpital général d’Ottawa soit désigné sous le régime de la L.S.F., l’Hôpital Civic d’Ottawa, avec lequel il est fusionné, n’est que partiellement désigné.  La Commission a ordonné à l’hôpital fusionné d’atteindre la désignation sous le régime de la L.S.F.  L’Institut de cardiologie, qui fait maintenant partie de l’hôpital fusionné d’Ottawa et à qui la Commission a ordonné le transfert des programmes de cardiologie de Montfort, n’a aucune désignation sous la L.S.F.  Cet établissement a également reçu l’ordre d’atteindre la désignation.  Même à l’Hôpital général d’Ottawa, un centre désigné sous le régime de la L.S.F., les services de santé ne sont pas disponibles en français à temps plein dans tous les domaines.  Dans son rapport d’août 1997, la Commission a reconnu que la qualité des services en français offerts par les fournisseurs de soins de santé désignés autres que Montfort variait de façon spectaculaire, malgré leur désignation sous le régime de la L.S.F.

[61]          L’argument de l’Ontario selon lequel les services de santé offerts à la population francophone ne seraient pas réduits par la mise en œuvre des directives de la Commission fait fi de la réalité.  L’Ontario a soutenu que la situation s’améliorerait graduellement avec la mise en œuvre des directives de la Commission aux fournisseurs de soins de santé à qui était transférée la responsabilité d’offrir les services et qu’il fallait être patient.  Les bonnes intentions ne sauraient remplacer les faits.  Quatre ans après les recommandations de la Commission, les fournisseurs de soins de santé à qui la Commission avait demandé d’obtenir la désignation comme fournisseurs de services bilingues n’ont pas encore obtenu cette désignation et il se peut qu’ils ne l’obtiennent jamais.

[62]          Nous ne pouvons infirmer la conclusion de la Cour divisionnaire selon laquelle les directives de la Commission pour la restructuration de Montfort réduiraient la disponibilité des services de santé en français à la population francophone de la région d’Ottawa-Carleton.  Qui plus est, la preuve établit également que Montfort offre des services importants à l’extérieur de la région d’Ottawa-Carleton aux collectivités rurales francophones éloignées de l’est de l’Ontario pour qui il s’agit du grand hôpital le plus rapproché.  La mise en œuvre des directives de la Commission aurait aussi des effets négatifs sur la possibilité qu’auraient ces collectivités de recevoir la gamme actuelle des services de soins de santé en français.

b) La formation des professionnels de la santé serait compromise

[63]          La deuxième conclusion de fait de la Cour divisionnaire contestée par l'Ontario est que les directives de la Commission auraient pour effet de compromettre le rôle de Montfort à titre de seul centre en Ontario qui forme les professionnels de la santé pour servir la population en français. La Cour divisionnaire a affirmé ce qui suit, aux pp. 60 et 61 de ses motifs :

Depuis de nombreuses années déjà, Montfort a formé des professionnels de la santé dans de nombreux domaines. Un programme de médecine générale a été créé en collaboration avec l'Université d'Ottawa. Plus récemment, un programme spécialisé en médecine familiale a été mis sur pied. Montfort offre maintenant le seul programme en français aux résidents en médecine familiale à l'extérieur du Québec. Le programme a reçu les éloges de l'équipe d'accréditation du programme de résidence en médecine familiale. […] Nous sommes d'avis qu'un tel programme entièrement français, qui est inestimable parce qu'il fait en sorte que la population francophone est bien desservie en français, rencontrera des obstacles insurmontables dans un établissement bilingue.

[64]          Cette conclusion est appuyée par plusieurs sources.  Deux d’entre elles sont le doyen Walker, de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, et le groupe de coordination de la restructuration pour Ottawa-Carleton.  Les deux craignent que les directives de la Commission de supprimer les services d’urgence, les activités chirurgicales pour les patients hospitalisés et les lits de soins actifs nécessaires au soutien de ces services feront en sorte que Montfort ne sera plus en mesure d’offrir plusieurs des rotations nécessaires à la résidence en médecine familiale.  Le docteur Frenette, l’expert de la Faculté de médecine de l’Université Laval consulté par le groupe de coordination de la restructuration, a estimé (appuyé par le doyen Walker) qu’il fallait 50 lits de soins actifs pour offrir une exposition d’enseignement suffisante aux diagnostics communs de niveaux primaire et secondaire.  À défaut d’un nombre suffisant de lits de soins actifs, d’autres professionnels de la santé ne seraient plus intéressés à recevoir leur formation en français à Montfort, parce qu’il n’y aurait pas une clientèle assez importante pour attirer leurs services.

[65]          L’Ontario a présenté le témoignage du docteur Ruth Wilson, chef du département de médecine familiale de l’Université Queen’s, selon lequel la restructuration de Montfort conformément aux directives de la Commission permettrait à Montfort de continuer à fournir un milieu approprié pour la formation des résidents en médecine familiale.  Le docteur Nick Busing, le président du département de médecine familiale de l’Université d’Ottawa, a déposé un affidavit en réponse à ce témoignage dans lequel il exprime son désaccord.

[66]          L’Ontario soutient que la Cour divisionnaire a mal interprété le témoignage du docteur Wilson.  Le docteur Wilson était d’avis qu’avec un bon suivi, Montfort continuerait de fournir un milieu approprié aux résidents en médecine familiale afin qu’ils effectuent le même nombre de rotations qu’actuellement, c’est-à-dire six rotations sur sept.  La Cour divisionnaire a indiqué qu’elle avait pris connaissance de l’opinion du docteur Wilson selon laquelle le programme de formation continuerait de fonctionner comme avant.  Toutefois, la Cour a affirmé, à la p. 64, qu’« elle [le docteur Wilson] était préoccupée par le retrait de services et a convenu qu’il faudrait faire un suivi afin de déterminer si la variété de maladies et de patients serait suffisante ».  Cette phrase renvoie au fait que l’opinion du docteur Wilson comportait une réserve, c’est-à-dire « qu’il faudrait faire un suivi ».  La phrase contestée n’indique pas que la Cour divisionnaire a mal interprété son témoignage, mais seulement que le témoignage était assorti d’une réserve qui, de l’avis de la Cour, était très importante.

[67]          Il était loisible à la Cour divisionnaire de préférer la preuve présentée par les intimés à celle de l’Ontario.  Nous ne souscrivons pas à l’argument selon lequel la Cour, ce faisant, accordait une importance indue à des préoccupations conjecturales plutôt qu’à des préoccupations susceptibles d’être démontrées.  En effet, le rapport publié par la Commission en août 1997 appuie davantage la conclusion de la Cour divisionnaire.  Rappelons que dans ce rapport, la Commission avait noté que les internes en médecine et les autres professionnels « auront également besoin d’une formation dans d’autres établissements désignés » en plus de l’environnement de soins primaires à Montfort.  La Commission elle-même a reconnu que Montfort ne serait plus en mesure de remplir sa fonction de formation des professionnels de la santé en langue française, puisqu’il ne fonctionnerait plus comme hôpital communautaire offrant des services secondaires.  À l’extérieur de Montfort, la formation clinique n’est offerte qu’en anglais.  La Commission a chargé l’Université et l’organisme de coordination universitaire, avec la participation du Réseau des services de santé en français, de résoudre le problème.  Autrement dit, il y aurait un vide à moins que ces organismes puissent eux-mêmes trouver une solution.

[68]          La conclusion de la Cour divisionnaire selon laquelle la mise en œuvre des directives de la Commission compromettrait tout le programme de formation des médecins en français, de même que la formation de plusieurs autres professionnels de la santé, est amplement appuyée par la preuve.

c) Le rôle institutionnel plus large de Montfort

[69]          À la p. 76, la Cour divisionnaire a conclu que la supression des services de santé et de la formation médicale adéquats dans un milieu vraiment francophone « ne [peut] avoir qu’un effet négatif important sur la validité continue de cette collectivité, sa langue et sa culture ».  Pour arriver à cette conclusion, la Cour s’est appuyée sur les témoignages des docteurs Raymond Breton et Roger Bernard, deux sociologues spécialisés dans les tendances sociales qui touchent l’existence et la viabilité des collectivités minoritaires.  Dans leurs témoignages, ces experts ont affirmé que même si les hôpitaux ne comptent pas parmi les institutions qui revêtent la plus haute importance pour une culture, ils sont néanmoins « tout aussi importants dans le réseau des institutions d’une culture minoritaire » et servent de moyens d’expression et d’affirmation de l’identité culturelle.  L’Ontario n’a présenté aucune preuve à cet égard.

[70]          L’Ontario plaide que les hôpitaux ne sont pas des institutions qui empêchent l’assimilation, puisque les gens ne les fréquentent pas régulièrement pour de longues durées.  L’Ontario soutient que les analyses faites par les experts sur le rôle institutionnel plus large de Montfort sont abstraites, fortement conjecturales, éloignées des faits et inextricablement liées à la langue politique.  L’Ontario soutient donc que la Cour a eu tort d’accepter leurs opinions.

[71]          À notre avis, la Cour divisionnaire n’a pas commis d’erreur dans sa considération ou son appréciation des témoignages des docteurs Breton et Bernard.  Nous sommes d’accord que Montfort a un rôle institutionnel plus large que la prestation des services de soins de santé.  En plus de remplir la fonction pratique supplémentaire de dispenser la formation médicale, le rôle institutionnel plus large de Monfort comprend notamment celui de maintenir la langue française, de transmettre la culture francophone et de favoriser la solidarité au sein de la minorité franco-ontarienne.

[72]          L’Ontario plaide que la Commission a, de fait, pris en considération le rôle institutionnel plus large de Montfort lorsqu’elle a émis ses directives et que c’était tout ce que la Commission était obligée de faire.  Nous avons déjà fait mention de la lettre rédigée par le docteur Sinclair, le président de la Commission, en date du 22 février 1999, adressée à Mme de Courville Nicol, la présidente du conseil d’administration de Montfort.  La Cour divisionnaire s’est appuyée sur cette lettre, à la p. 75 de ses motifs, et a affirmé ce qui suit :

Dans sa lettre, le Dr Sinclair admet que la Commission n’a pas abordé la question de la nécessité d’institutions homogènes pour une minorité linguistique.  Il est d’avis qu’une telle question dépassait le mandat de la Commission […]

Nous sommes d’accord que telle était la teneur de la lettre du docteur Sinclair.

[73]          Le docteur Sinclair avait raison d’affirmer que le mandat de la Commission ne faisait nullement mention du rôle institutionnel de Montfort (dont une partie importante comprenait la formation des fournisseurs de soins de santé en langue française).  Toutefois, la Commission était expressément chargée de prendre en considération les rapports des conseils régionaux de santé.  Or, les auteurs de ces rapports étaient sensibles à l’importance de Montfort à titre d’institution et ont recommandé que Montfort continue de fonctionner en tant qu’hôpital communautaire.  Les directives initiales de la Commission, publiées en février 1997, ont complètement passé sous silence les recommandations du Conseil régional de santé du district Ottawa-Carleton à l’égard de Montfort.  Le rapport et les directives subséquents de la Commission témoignent d’une tentative de créer une solution de pis-aller pour donner suite aux observations supplémentaires des conseils régionaux de santé du district Ottawa-Carleton et de l’est de l’Ontario.  La Commission n’a jamais expliqué pourquoi elle avait refusé de suivre les recommandations des conseils régionaux de santé.

[74]          Comme nous l’avons affirmé d’entrée de jeu dans les présents motifs, la Commission avait également le pouvoir, incorporé par renvoi aux dispositions pertinentes de la Loi sur les hôpitaux publics, d’émettre tout ordre à l’égard d’un hôpital public si elle estimait que l’intérêt public le justifiait.  La sauvegarde et la promotion de la langue française à l’égard des soins de santé communautaires dispensés par la seule institution francophone qui exerce ce rôle faisait partie de l’intérêt public que la Commission aurait dû prendre en considération.  La Commission aurait dû également prendre en considération l’intérêt public soulevé par le fait que le rôle institutionnel de Montfort avait une portée provinciale qui dépassait les préoccupations locales d’Ottawa-Carleton en matière de soins de santé.

[75]          La Cour divisionnaire n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion de fait sur l’importance du rôle institutionnel plus large joué par Montfort et les répercussions négatives des directives de la Commission sur ce rôle.  La Commission semble avoir ignoré le rôle institutionnel plus large de Montfort lorsqu’elle a publié son premier rapport, particulièrement en ce qui a trait à son rôle d’enseignement; en outre, comme nous l’avons fait remarquer, la Commission a toujours interprété son mandat de façon restrictive.

[76]          En conséquence, nous rejetterions la contestation de l’Ontario quant aux trois conclusions de fait de la Cour divisionnaire.

Partie II : Questions de droit

Droits linguistiques : la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte canadienne des droits et libertés

[77] La Loi constitutionnelle de 1867 énonce des droits linguistiques précis, tout comme la Charte canadienne des droits et libertés. Les droits linguistiques prévus expressément par la Constitution ne sont pas en cause dans le présent appel. Ces droits composent toutefois le contexte dans lequel les arguments de Montfort doivent être évalués. Notre analyse des questions que nous sommes appelés à trancher sera facilitée par une brève étude de ces dispositions.

La Loi constitutionnelle de 1867

[78]          L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 garantit le droit d’employer autant le français que l’anglais au Parlement du Canada et à la législature du Québec, ainsi que devant les tribunaux du Québec et du Canada.

[79]          La Loi constitutionnelle de 1867 voit à la protection des minorités en ce qu’elle inclut, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’affaire du Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 (le « Renvoi relatif à la sécession »), à la p. 242, des « garanties visant à protéger la langue et la culture françaises, à la fois directement (en faisant du français une langue officielle au Québec et dans l’ensemble du Canada) et indirectement (en attribuant aux provinces la compétence sur l’éducation et sur [l]a propriété et les droits civils dans la province).»

[80]          La Loi constitutionnelle de 1867 énonce aussi à l’art. 93 d’importantes garanties en matière d’éducation pour la minorité catholique en Ontario et la minorité protestante au Québec, garanties qui ont été reproduites au bénéfice des minorités religieuses dans plusieurs provinces qui se sont jointes à la Confédération après 1867. 

[81]          Les protections accordées aux minorités linguistiques et religieuses sont un trait essentiel de la Constitution d’origine de 1867, sans lequel la Confédération ne serait pas née.  Dans le renvoi sur The Regulation and Control of Aeronautics in Canada, [1932] A.C. 54 (C.J.C.P.), à la p. 70, (un passage cité par la Cour suprême du Canada dans Renvoi: compétence du Parlement relativement à la Chambre Haute, [1980] 1 R.C.S. 54, p. 71) lord Sankey L.C. note :

[I]l est important de ne pas perdre de vue que le maintien des droits des minorités était une des conditions auxquelles ces minorités consentaient à entrer dans la fédération et qu’il constituait la base sur laquelle toute la structure allait par la suite être érigée.

[82]          La Cour suprême du Canada explique, dans le Renvoi relatif à la sécession, précité, à la p. 261, que la protection des minorités religieuses et la crainte de l’assimilation étaient des questions de grande importance lors des négociations entourant le pacte confédératif :

[L]a protection des droits des minorités religieuses en matière d’éducation avait été une considération majeure dans les négociations qui ont mené à la Confédération.  On craignait qu’en l’absence de protection, les minorités de l’Est et de l’Ouest du Canada d’alors soient submergées et assimilées.

[83]          De même, dans l’affaire du Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, aux pp. 1173 et 1174, le juge Wilson note que la protection des minorités religieuses était une « préoccupation importante » au moment de la Confédération, et que les droits accordés à ces minorités pour les protéger contre les majorités hostiles, selon le juge Duff dans Reference re Adoption Act, [1938] R.C.S. 398, à la p. 402, constituaient « le pacte fondamental de la Confédération ».

[84]          Bien que le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 traite surtout des minorités religieuses, la communauté catholique minoritaire en Ontario à l’époque correspondait, dans une large mesure, à la minorité francophone; les caractéristiques linguistiques et confessionnelles étaient de manière générale étroitement associées.  Comme le signale le juge Gonthier dans l’affaire du Renvoi relatif à la Loi sur l’instruction publique (Qué.), [1993] 2 R.C.S. 511, aux pp. 529 et 530 :

Il est unanimement reconnu que l’art. 93 est l’expression d’un désir de compromis politique.  Il a permis l’atténuation de conflits religieux qui menaçaient la réalisation de l’Union.  À l’époque, les mésententes entre les populations portaient plus sur la religion que sur la langue.

[85]          Cinquante ans après la naissance de la Confédération, dans un jugement très controversé, le Conseil privé statue que l’art. 93 protège uniquement la religion et ne prévoit aucune protection pour la langue de la minorité : Trustees of the Roman Catholic Separate Schools for the Ottawa Separate Schools Trustees v. Mackell, [1917] A.C. 62.  Le grief historique de la minorité linguistique en rapport avec la langue de l’éducation a finalement été réglé en 1982 par l’art. 23 de la Charte, dont il sera question plus loin.

[86]          Signalons par ailleurs que certaines dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant la protection des minorités, même si elles sont tombées en désuétude, témoignent de l’importance fondamentale attachée à la protection constitutionnelle des minorités catholiques et françaises hors du Québec.  Les minorités linguistiques et religieuses s’exposaient au risque de voir les gouvernements provinciaux négliger leurs intérêts, mais il ne fait aucun doute que le pacte confédératif prévoyait implicitement qu’elles pouvaient s’adresser au gouvernement fédéral pour faire respecter leurs droits constitutionnels.  En cas d’atteinte à un droit à l’éducation de la minorité religieuse par un gouvernement provincial, le par. 93(3) donne aux membres de la minorité religieuse un droit d’appel au cabinet fédéral, et en vertu du par. 93(4), le Parlement avait le droit de décréter des lois remédiatrices.  Le pouvoir fédéral de désaveu (art. 55 à 57 et 90) pouvait être invoqué lorsque les intérêts légitimes de ces minorités étaient mis en péril par un acte du gouvernement provincial.

La Charte canadienne des droits et libertés

[87]          Les droits linguistiques ont connu un développement important avec la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982.  Le paragraphe 16(1) de la Charte proclame que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits égaux quant à leur usage « dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ».  Le français et l’anglais ont aussi les mêmes statuts et droits au Nouveau-Brunswick.  L’article 16.1, ajouté en 1993, garantit l’égalité du statut et des droits et privilèges des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick.  Le droit d’employer le français ou l’anglais au Parlement et à la Législature du Nouveau-Brunswick est conféré par l’art. 17, et la publication des lois, archives, comptes rendus et procès-verbaux de ces organes est prévu par l’art. 18.  Le droit d’employer le français ou l’anglais devant un tribunal établi par le Parlement et devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick est garanti par l’art. 19.  Le droit de communiquer avec les gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick  et d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre langue officielle est énoncé en détail à l’art. 20.

[88]          L’article 21 prévoit que les droits spécifiques énoncés aux art. 16 à 20 n’ont pas pour effet de porter atteinte aux droits qui existent aux termes d’une autre disposition de la Constitution du Canada concernant l’emploi du français ou de l’anglais.  L’article 22 protège les droits et privilèges antérieurs ou postérieurs à l’entrée en vigueur de la Charte, découlant de la coutume, des langues autres que le français ou l’anglais.  L’article 23 garantit le droit général à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province, y compris en Ontario, sous certaines conditions.

[89]          La Charte envisage que non seulement le Parlement, mais aussi les législatures des provinces peuvent favoriser la progression vers l’égalité de statut du français et de l’anglais :

16(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.

Le paragraphe 16(3) s’applique à l’Ontario.  

Deuxième question :  Le paragraphe 16(3) de la Charte protège-t-il le statut de Montfort à titre d’institution francophone?

[90]          Montfort fait sien un argument fondé sur le par. 16(3) de la Charte, proposé par deux intervenants, la Commissaire aux langues officielles du Canada et La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.  Ils prétendent qu’une fois que la province a fait de Montfort une institution homogène francophone, le par. 16(3) la revêt d’une protection constitutionnelle, limitant les droits de l’Ontario de modifier ou de réduire ce statut.  Le paragraphe 16(3) exprime un objectif constitutionnel : faire progresser l’égalité réelle des deux langues officielles du Canada.  On prétend que ce but sera atteint par l’application du principe dit d’« encliquetage ».  On affirme que lorsque l’Ontario fait avancer d’un cran l’égalité concrète du français, le par. 16(3) joue le rôle d’un cliquet qui bloque ce progrès au niveau d’un droit constitutionnel, empêchant tout retour en arrière.  Même si elles ne sont pas requises sur le plan constitutionnel, les mesures provinciales faisant progresser l’égalité linguistique répondent à une aspiration exprimée dans la Constitution.  Une fois accomplis, les progrès vers l’égalité linguistique concrète bénéficient d’une protection constitutionnelle, et le retrait d’un gain doit être convenablement justifié.  On soutient que cette interprétation du par. 16(3) se fonde sur le principe, développé ci-dessous, voulant que les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation large et libérale.  On invoque aussi le principe constitutionnel non écrit de respect et de protection des minorités comme outils d’interprétation.

[91]          Les intimés invoquent en particulier les passages suivants de l’opinion dissidente du juge Wilson dans Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, aux pp. 618 et 619 :

À mon avis, la difficulté qu’on éprouve à caractériser l’art. 16 de la Charte découle en grande partie des problèmes d’interprétation inhérents au par. 16(1).  J’estime que la disposition introductive portant que « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada » est déclaratoire et que le reste du paragraphe énonce les conséquences principales de cette déclaration dans le contexte fédéral, savoir que les deux langues ont un statut égal et sont assorties des mêmes droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.  Toutefois, il ressort clairement du par. 16(3) que ces conséquences représentent le but visé plutôt que la réalité actuelle; il s’agit de quelque chose dont le Parlement et les législatures doivent « favoriser la progression ».  Cela semblerait conforme à l’esprit de l’arrêt Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, savoir que les législatures ne peuvent déroger à des droits déjà accordés, mais elles peuvent en étendre la portée.  À condition que la législation « favorise la progression » vers l’égalité de statut des deux langues officielles, les cours n’y toucheront pas; dans l’hypothèse contraire, elle ne résistera pas à l’examen judiciaire.  J’estime toutefois qu’aucun droit à un redressement ne découle inévitablement du fait que le but n’ait pas encore été atteint à un moment donné.  J’abonde dans le sens de ceux qui voient dans l’art. 16 un principe de croissance ou de développement, une progression vers un objectif ultime.  La question, selon moi, sera donc toujours de savoir où nous en sommes présentement dans notre cheminement vers le bilinguisme et si la conduite attaquée peut être considérée comme appropriée à ce stade de l’évolution.  Dans l’affirmative, même si la conduite en question ne reflète pas la pleine égalité de statut et l’égalité quant aux droits à l’usage des langues officielles, elle ne sera pas contraire à l’esprit de l’art. 16.

[92]          Nous ne sommes pas convaincus que le par. 16(3) comprend un principe d’« encliquetage », qui conférerait une protection constitutionnelle aux mesures prises pour faire progresser l’égalité linguistique.  Le paragraphe 16(3) repose sur le principe établi dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182, selon lequel la Constitution garantit un « plancher » et non un « plafond » ; il traduit l’aspiration d’une recherche de l’égalité concrète.  Cette aspiration exprimée par le par. 16(3) revêt de l’importance pour interpréter la loi.  Il nous semble cependant indéniable que l’effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l’égalité linguistique.  La portée juridique effective du par. 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots : « La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures ».  Le paragraphe 16(3) n’est pas attributif de droit.  Il s’agit plutôt d’une disposition destinée à prévenir toute contestation d’une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l’art. 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d’un palier de gouvernement.  Voir André Tremblay et Michel Bastarache,  « Les droits linguistiques », dans Gérald-A. Beaudoin et Ed Ratushny, dirs., Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd. (1989), à la p. 746 :

Par cette disposition, on a vraisemblablement voulu s’assurer que le pouvoir de privilégier le français et l’anglais dans la législation ne puisse être contesté en vertu des normes anti-discriminatoires contenues à l’article 15 de la Charte.  Le paragraphe 16(3) pourrait ainsi prévenir l’invalidation de mesures d’accès à l’égalité des langues officielles.

[93]          Selon nous, le principe d’« encliquetage » n’est pas non plus étayé par la jurisprudence.  Le passage extrait de l’arrêt Société des Acadiens se trouve dans une opinion dissidente centrée sur le par. 19(2) et sur les obligations spécifiques que les art. 16 à 20 de la Charte imposent au Nouveau-Brunswick.

[94]          Cet argument part de l’hypothèse que le gouvernement n’avait aucune obligation de créer Montfort.  Notre Cour a déjà statué dans un autre contexte qu’en l’absence d’un droit constitutionnel qui oblige le gouvernement à agir, il n’existe aucun droit constitutionnel à la préservation d’une mesure prise volontairement, même si cette mesure s’accorde avec les valeurs prônées par la Charte ou favorise ces valeurs.  Dans Ferrel c. Ontario (A.G.) (1998), 42 O.R. (3d) 97 (C.A.), une affaire portant sur l’abrogation d’une loi visant à combattre la discrimination institutionnelle dans l’emploi, le juge en chef adjoint Morden écrit ce qui suit, aux pp. 110 et 111 :

[TRADUCTION] S’il n’y a, au départ, aucune obligation constitutionnelle d’édicter la Loi de 1993, je crois alors qu’implicitement, en ce qui concerne les exigences constitutionnelles, la Législature est libre de remettre la législation de la province dans l’état où elle se trouvait avant l’adoption de la Loi de 1993, sans avoir à justifier l’abrogation de la loi en vertu de l’art. 1 de la Charte.

[…]

Il serait pour le moins étonnant, à mon avis, qu’une initiative législative comme la Loi de 1993, entraînant des coûts et la mise sur pied d’une structure adminis­trative, ait pour effet, une fois promulguée, d’acquérir un statut immuable dans le droit de la province, susceptible uniquement d’élargissement et impossible à modifier ou à réviser sans justification aux termes de l’art. 1.

[95]          En résumé, Montfort est un hôpital public qui procure des services en français.  Le paragraphe 16(3) de la Charte n’accorde pas à Montfort un statut constitutionnel, parce qu’il ne s’agit pas d’une disposition attributive de droit.  Étant donné que Montfort n’est pas constitutionnellement protégé par le par. 16(3), l’Ontario peut, sous réserve de ce qui suit, modifier le statut de Montfort en tant qu’hôpital communautaire sans contrevenir au par. 16(3).

Troisième question : Les directives de la Commission contreviennent-elles à l’article 15 de la Charte?

[96]          Montfort a porté en appel incident le rejet, par la Cour divisionnaire, de son argument selon lequel les directives de la Commission violent son droit à l’égalité protégé par l’art. 15 de la Charte.  Cet argument n’a pas été présenté oralement à l’audition, mais il fait l’objet d’un développement complet dans le mémoire de Montfort.  À notre avis, la Cour divisionnaire a correctement statué en rejetant cet argument au motif, énoncé à la p. 79, que « l’article 15 de la Charte ne peut être utilisé comme porte de sortie pour améliorer les droits linguistiques au-delà de ce qui est prévu dans d’autres dispositions de la Charte ».  Même en admettant, sans en décider, que les intimés satisfont par ailleurs au critère relatif à une violation de l’art. 15, nous convenons avec la Cour divisionnaire que, à la lumière des dispositions très précises et détaillées des art. 16 à 23 de la Charte concernant le statut spécial du français et de l’anglais, toute différence de traitement envers les francophones qui résulterait des directives de la Commission ne serait pas fondée sur un motif énuméré ou analogue.  Comme le déclare la Cour divisionnaire à la p. 80 : « L’article 15 en soi ne peut donc pas être invoqué pour ajouter des droits linguistiques que la Charte n’a pas déjà accordé expressément ». 

[97]          L’argument mis de l’avant par les intimés a invariablement été rejeté dans d’autres affaires : voir Baie d’Urfé (Ville) c. Québec (Procureur général), [2001] J.Q. no. 4821 (C.A.).  En l’espèce, la Cour divisionnaire s’appuie sur Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342 , à la p. 369, où le juge en chef Dickson écrit :

[I]l serait déplacé d’invoquer un principe d’égalité destiné à s’appliquer universellement à « tous » pour interpréter une disposition qui accorde des droits particuliers à un groupe déterminé.

[98]          Dans R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1334, la Cour suprême du Canada rejette le raisonnement sous-jacent à Reference Re Use of French in Criminal Proceedings in Saskatchewan (1987), 44 D.L.R. (4th) 16 (C.A. Sask), une affaire sur laquelle s’appuient les intimés.

[99]          D’autres cours d’appel provinciales ont rejeté des tentatives d’utiliser l’art. 15 comme fondement à l’expansion de droits linguistiques.  Dans McDonnell c. Fédération des Franco-Colombiens (1986), 31 D.L.R. (4th) 296, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que, considérant les droits spécifiques conférés par les art. 16 à 22 de la Charte, l’art. 15 n’invalidait pas une règle de pratique provinciale exigeant la production des documents en anglais.  Dans R. c. Paquette (1987), 83 A.R. 41, à la p. 51, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’argument selon lequel le refus de tenir un procès en français contrevenait à l’art. 15 :

[TRADUCTION] Cet argument élève en position d’égalité le droit à l’emploi d’une langue officielle dans tous les cas.  Il n’y aurait alors aucun besoin des art. 16 à 23 de la Charte.  Cet argument rend redondants les articles sur les langues officielles, étant donné que l’art. 15 ferait en sorte que l’emploi d’une langue officielle soit identique à l’emploi de l’autre.  Cette discrimination n’est pas fondée sur la langue et les langues officielles ne se voient tout simplement pas accorder un statut d’égalité par la Charte.

[100]      Le jugement de la Cour d’appel de Terre-Neuve dans Riguette c. Canada (A.G.) (1987), 63 Nfld. & P.E.I.R. 126 va dans le même sens.

[101]      Il a été statué dans d’autres contextes que lorsque la Constitution accorde des droits spéciaux à des groupes spéciaux, ces garanties spécifiques doivent être respectées, et d’autres droits prévus par la Charte ne peuvent servir à étendre ou à restreindre les droits ainsi accordés.  Dans le Renvoi relatif au projet de loi 30, précité, le juge Wilson écrit aux pp. 1196 et 1197 que même si le traitement spécial accordé à la minorité religieuse par l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867  « s’accorde mal avec le concept de l’égalité enchâssé dans la Charte », l’art. 15 ne peut servir ni à rendre inopérants les droits spécifiques du groupe protégé, ni à étendre ces droits à d’autres groupes religieux.  Cette position a été confirmée dans Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, où la Cour suprême rejette la réclamation d’un financement pour les services de santé d’écoles confessionnelles non visées par l’art. 93, fondé sur le droit à la liberté de religion prévu à l’al. 2a) et le droit à l’égalité prévu à l’art. 15.

[102]      Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter l’appel incident de Montfort quant à la conclusion du jugement de première instance concernant l’art. 15.

Quatrième question : Le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités s’applique-t-il à Montfort ?

[103]      L’étude la plus définitive et complète des principes non écrits ou structurels, et celle qui étaye le mieux les arguments présentés par les intimés devant cette Cour, est le jugement de la Cour suprême du Canada de 1998 dans le Renvoi relatif à la sécession, précité.  Dans ce jugement, à la p. 240, la Cour suprême confirme l’existence de règles constitutionnelles non écrites « qui ne sont pas expressément prévues dans le texte de la Constitution », mais qui ont tout de même une force normative en tant qu’instruments opérants de notre ordre constitutionnel.  La Cour définit à la p. 240 « quatre principes constitutionnels directeurs fondamentaux » qui ont une incidence sur la question de la sécession éventuelle d’une province, savoir le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités.

[104]      Ces principes non écrits, énonce la Cour à la p. 247, « inspirent et nourrissent le texte de la Constitution : ils en sont les prémisses inexprimées».  La Cour énonce à  p. 248 que les principes non écrits représentent l’ « architecture interne » de la Constitution, ils « imprègnent la Constitution et lui donnent vie ».   De plus, « [c]es principes ont dicté des aspects majeurs de l’architecture même de la Constitution et en sont la force vitale. »

Le fédéralisme

[105]      Le fédéralisme, le partage des compétences législatives entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces, exprime un fait fondamental de la structure constitutionnelle et politique du Canada.  Comme le déclare la Cour à la p.  251,  « le fédéralisme est une réponse politique et juridique aux réalités du contexte social et politique. »  Le Canada est un pays doté d’une grande diversité géographique, culturelle et politique.  Le fédéralisme constitue la définition constitutionnelle des aspects de notre vie politique qui nous unissent, tout en laissant une marge de manœuvre suffisante pour accommoder et enrichir les réalités hétérogènes sociales, culturelles et économiques des communautés provinciales diverses et distinctives qui forment notre pays.  Le fédéralisme, c’est, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession à la p. 244, « la réponse juridique aux réalités politiques et culturelles qui existaient à l’époque de la Confédération et qui existent toujours aujourd’hui ». À la p. 245, la Cour poursuit : « Le fédéralisme était la structure politique qui permettait de concilier unité et diversité. »

[106]      Le principe du fédéralisme a une portée importante sur la situation des minorités culturelles et linguistiques.  La présence de la langue et de la culture distinctes de la majorité francophone du Québec était indubitablement un important facteur qui a modelé l’union canadienne de 1867, étant donné qu’elle a entraîné dès le départ l’adoption d’une structure fédérale.  Comme la Cour l’explique dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 252 : « La structure fédérale adoptée à l’époque de la Confédération a permis aux Canadiens de langue française de former la majorité numérique de la population de la province du Québec, et d’exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables que conférait la Loi constitutionnelle de 1867 de façon à promouvoir leur langue et leur culture. »

La démocratie

[107]      La démocratie, comme l’énonce la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 252, est « une valeur fondamentale de notre culture juridique et politique » et, à la p. 253, « l’assise que les rédacteurs de notre Constitution et, après eux, nos représentants élus en vertu de celle-ci ont toujours prise comme allant de soi ».  Même si le mot ne figure pas dans le texte de la Loi constitutionnelle de 1867, la démocratie a toujours été une caractéristique fondamentale de notre structure constitutionnelle.  Par rapport aux minorités, la démocratie présuppose davantage que la simple règle de la majorité.  Comme l’explique le juge Iacobucci dans Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, à la p. 577 :

[L]a notion de démocratie ne se limite pas à la règle de la majorité […] À mon avis, la démocratie suppose que le législateur tienne compte des intérêts de la majorité comme de ceux des minorités, car ses décisions toucheront tout le monde.  Si le législateur néglige de prendre en considération les intérêts d’une minorité, en particulier si cette minorité a été historiquement victime de préjugés et de discrimination, j’estime que le pouvoir judiciaire est justifié d’intervenir […]

Le constitutionnalisme et la primauté du droit

[108]      Le constitutionnalisme et la primauté du droit sont les pierres angulaires de la Constitution et témoignent de la volonté de notre pays d’instaurer une société où règnent l’ordre et le civisme, dans laquelle tous sont assujettis aux règles, principes et valeurs stables de notre Constitution en tant que source suprême de droit et d’autorité.  Dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 258, la Cour suprême définit trois éléments essentiels de la primauté du droit.  Premièrement, autant les gouvernements que les particuliers sont assujettis à la loi : « il y a une seule loi pour tous.»   Deuxièmement, la création et le maintien d’un ordre de droit positif sont le fondement normatif de la société civile.  Le troisième élément est que l’exercice de la puissance publique doit être fondé sur la primauté du droit qui régit les rapports entre l’État et l’individu.

[109]      Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, la Cour suprême définit la primauté du droit comme un principe constitutionnel produisant des effets juridiques.  La Cour statue, à la p. 752, que « dans les décisions constitutionnelles, la Cour peut tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada ».  La Cour énonce que le non-respect par la province de l’art. 23 de la Loi sur le Manitoba, qui l’oblige à adopter les lois en anglais et en français, rendait invalides les lois adoptées depuis 1890.  S’appuyant sur le principe fondamental de la primauté du droit, la Cour a décrété la suspension temporaire de la déclaration d’invalidité afin d’éviter un état de chaos juridique.

[110]      Le principe connexe du constitutionnalisme repose sur le principe que la Constitution est la source suprême de droit et que toute action gouvernementale doit se conformer à ses exigences.  Le constitutionnalisme apporte une réserve à la règle de la majorité, et comme le fédéralisme, il a une grande portée pour les minorités.  Comme la Cour l’explique dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 259, l’inscription de droits dans la Constitution protège ces droits contre la volonté de la majorité et fait en sorte qu’on leur accorde la considération et la protection qu’ils méritent.  Une constitution peut, écrit la Cour à la p. 259, « chercher à garantir que des groupes minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux tendances assimilatrices de la majorité ».

Le respect et la protection des minorités

[111]      Finalement, dans le Renvoi relatif à la sécession, la Cour expose le principe du « respect des minorités » ou de la « protection des minorités ».  Dans les présents motifs, nous nommons ce principe « le respect et la protection des minorités ».  Le principe du respect et de la protection des minorités est décrit comme suit à la p. 262 :

Le souci de nos tribunaux et de nos gouvernements de protéger les minorités a été notoire ces dernières années, surtout depuis l’adoption de la Charte.  Il ne fait aucun doute que la protection des minorités a été un des facteurs clés qui ont motivé l’adoption de la Charte et le processus de contrôle judiciaire constitutionnel qui en découle.  Il ne faut pas oublier pour autant que la protection des droits des minorités a connu une longue histoire avant l’adoption de la Charte.  De fait, la protection des droits des minorités a clairement été un facteur essentiel dans l’élaboration de notre structure constitutionnelle même à l’époque de la Confédération.  Même si le passé du Canada en matière de défense des droits des minorités n’est pas irréprochable, cela a toujours été, depuis la Confédération, un but auquel ont aspiré les Canadiens dans un cheminement qui n’a pas été dénué de succès.  Le principe de la protection des droits des minorités continue d’influencer l’application et l’interprétation de notre Constitution [références omises].

[112]      La protection des minorités linguistiques est essentielle à notre pays.  Le juge Dickson saisit l’esprit de la place des droits linguistiques dans la Constitution dans Société des Acadiens, précité, à la p. 564 : « La question de la dualité linguistique est une préoccupation de vieille date au Canada, un pays dans l’histoire duquel les langues française et anglaise sont solidement enracinées. »  Comme l’énonce le juge La Forest dans R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, à la p. 269, les « droits concernant les langues française et anglaise […] sont essentiels à la viabilité de la nation ».

[113]      Comme nous l’avons déjà indiqué, la Charte a enrichi les droits linguistiques.  La protection constitutionnelle du droit à l’égalité prévue par l’art. 15 et les dispositions imposant le respect et la protection des droits des autochtones ont fortifié la protection des droits des autres minorités et le droit de ne pas être l’objet de discrimination.  Comme la Cour suprême du Canada l’exprime dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 269, « Des minorités linguistiques et culturelles, dont les peuples autochtones, réparties de façon inégale dans l’ensemble du pays, comptent sur la Constitution du Canada pour protéger leurs droits. »

[114]      Le principe du respect et de la protection des minorités est une caractéristique structurelle fondamentale de la Constitution canadienne, qui explique et transcende à la fois les droits des minorités expressément garantis dans le texte de la Constitution.  C’est un domaine où, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 292, « Une lecture superficielle de certaines dispositions spécifiques du texte de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. »  Cette caractéristique structurelle de la Constitution ne ressort pas uniquement des garanties spécifiques en faveur des minorités.  Elle imprègne tout le texte, et comme nous l’avons expliqué, elle joue un rôle vital dans la modulation du contenu et des frontières des autres caractéristiques structurelles de la constitution : le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la démocratie. 

L’application du principe à Montfort

[115]      Le présent appel exige une analyse attentive du poids, de la valeur et de l’effet qu’il faut accorder au respect et à la protection des minorités comme l’un des principes fondamentaux de notre Constitution.  L’Ontario prétend que, considérant les garanties très précises et détaillées quant à la langue de la minorité contenues dans le texte de la Constitution, la Cour divisionnaire a commis une erreur en rallongeant, dans les faits, la liste des droits protégés.  Le libellé très précis des dispositions constitutionnelles concernant les droits linguistiques ne donnerait à la minorité franco-ontarienne aucun droit à un hôpital de langue française.  L’appelant prétend que les tribunaux n’ont pas pour rôle d’ajouter d’autres droits à la liste des droits protégés.  Les intimés répliquent que l’absence d’un droit spécifique dans le texte de la Constitution n’est pas rédhibitoire.  Ils font remarquer que, vu l’importance de Montfort en tant qu’institution culturelle, sociale et éducative dans la lutte pour la survie de la minorité franco-ontarienne, le principe constitutionnel fondamental de respect et de protection des minorités peut justifier le contrôle de la légalité des directives de la Commission.

[116]      Les principes non écrits de la Constitution ont bel et bien une force normative.  Dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.); Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale (Î.‑P.‑É.), [1997] 3 R.C.S. 3 (le Renvoi relatif aux juges provinciaux), à la p. 75, le juge en chef Lamer fait clairement savoir qu’à son avis, le préambule de la Constitution « invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d’une thèse constitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel ».  Cette affirmation a été reprise dans le Renvoi relatif à la sécession, à la p. 249 :

Des principes constitutionnels sous-jacents peuvent, dans certaines circonstances, donner lieu à des obligations juridiques substantielles (ils ont «plein effet juridique» selon les termes du Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 845) qui posent des limites substantielles à l’action gouvernementale.  Ces principes peuvent donner naissance à des obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises.  Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements.

[117]      Dans le Renvoi relatif aux juges provinciaux, la Cour examine le « principe constitutionnel non écrit » de l’indépendance judiciaire.  La Cour statue, à la p. 67, que l’al. 11d) de la Charte, qui porte sur le droit à un procès par « un tribunal indépendant et impartial », et que les art. 96 à 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui portent sur la nomination, la charge et la rémunération des juges des cours supérieures, se fondent implicitement sur « un ensemble plus profond de conventions non écrites qui ne se trouvent pas dans le texte du document lui-même » (soulignement dans le texte original).  Il existe, écrit la Cour à la p. 69, des « principes structurels » qui peuvent servir à « combler les lacunes des termes exprès du texte constitutionnel » pour garantir la protection de tous les attributs nécessaires et essentiels de cette caractéristique structurelle vitale de la Constitution.  La Cour déclare, à la p. 75, que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 « énonce les principes structurels de la Loi constitutionnelle de 1867 et invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d’une thèse constitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnel ».

[118]      Dans sa très utile analyse des principes non écrits ou structurels de la Constitution, « References, Structural Argumentation and the Organizing Principles of Canada’s Constitution » (2001) 80 R. du B. can. 67, aux pp. 83 à 86, le professeur Robin Elliot établit une distinction importante entre l’emploi des principes non écrits ou structurels [TRADUCTION] « comme motifs autonomes pour attaquer la validité d’une loi », et leur emploi [TRADUCTION] « comme outils d’interprétation ou d’aide à l’étude de questions constitutionnelles ».  Le professeur Elliot estime que lorsqu’on y a recours pour attaquer la validité d’une loi ou d’un acte gouvernemental, les principes non écrits [TRADUCTION] « peuvent légitimement être considérés comme issus, par voie de conséquence nécessaire, du texte de la Constitution » [soulignement dans le texte original].  Selon cette thèse, lorsque les principes structurels engendrent des droits permettant d’attaquer la validité d’une loi, ils sont fondés sur le texte de la Constitution.  Même s’ils ne sont pas expressément énoncés dans le texte de la Constitution, ces droits ressortent du texte lorsqu’il est compris et interprété dans son contexte juridique, historique et politique complet et approprié.  Employés de cette manière, les principes non écrits ou structurels permettent aux tribunaux de dégager tout le sens de la Constitution et d’étoffer ses dispositions, comme l’explique le juge en chef Lamer dans le Renvoi relatif aux juges provinciaux à la p. 69, même au point d’autoriser les tribunaux à « combler les lacunes des termes exprès du texte constitutionnel ».

[119]      Le professeur Patrick Monahan établit une distinction semblable dans « The Public Policy Role of the Supreme Court of Canada and the Secession Reference » (1999) 11 N.J.C.L. 65, aux pp. 75 à 77.  Il fait remarquer que lorsqu’il applique un principe d’interprétation :

[TRADUCTION] Le tribunal doit tenter de combler un vide en adoptant l’interprétation la plus conforme à la logique sous-jacente du texte existant, puis s’appuyer sur cette logique pour « compléter » le texte constitutionnel.

[120]      Cette démarche ne sous-entend pas, comme l’explique le professeur Monahan à la p. 77, que le juge s’arroge le rôle de constituant, ce qui serait inacceptable.  Selon le professeur Monahan, le tribunal doit combler les vides en définissant ce qui, à son avis, constitue le meilleur ou le plus légitime ensemble de normes constitutionnelles à rajouter au texte existant.

[121]      Les principes non écrits de la Constitution ne confèrent pas aux juges le mandat de récrire le texte de la Constitution.  Dans le Renvoi relatif à la sécession, p. 249, la Cour suprême confirme que la reconnaissance de ces principes structurels non écrits

n’est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution.  Bien au contraire, nous avons réaffirmé qu’il existe des raisons impératives d’insister sur la primauté de notre Constitution écrite.  Une constitution écrite favorise la certitude et la prévisibilité juridiques, et fournit les fondements et la pierre de touche du contrôle judiciaire en matière constitutionnelle..

[122]      De même, dans le Renvoi relatif aux juges provinciaux, à la p. 68, la Cour écrit : « La préférence pour une Constitution écrite repose sur bon nombre de raisons importantes, particulièrement la certitude du droit et, par ce moyen, la légitimité du contrôle judiciaire fondé sur la Constitution. »  De même, dans Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, le juge Binnie écrit à la p. 594 que « des principes implicites peuvent et doivent être utilisés pour préciser la Constitution, mais ils ne peuvent pas modifier l’idée maîtresse du texte explicite de la Constitution. »

[123]      Ces principes généraux ayant été rappelés, passons maintenant à l’étude des questions précises dont nous sommes saisis en appel.  Comme la Cour divisionnaire l’a fait remarquer, on ne conteste pas ici la validité d’une loi qui empiète sur les droits de la minorité linguistique : voir Baie d’Urfé (Ville) c. Québec, précité.  Nous ne sommes pas non plus en présence d’une situation où un groupe minoritaire exige la mise sur pied d’une institution qui n’existe pas encore.  On nous demande plutôt de statuer sur la validité d’une décision discrétionnaire touchant le rôle et la fonction d’une institution existante, prise par un organisme créé par la loi et mandaté pour agir dans l’intérêt du public.

[124]      Dans son mémoire, l’Ontario soutient que le jugement de la Cour divisionnaire a pour effet de reconnaître ou de créer un droit constitutionnel spécifique permettant d’attaquer la validité d’un acte de la législature ou suffisant pour obliger la province à agir d’une manière précise.  Nous ne croyons pas que le jugement puisse être interprété de la sorte ou qu’il ait obligatoirement cet effet.  La Cour divisionnaire, aux p. 83 et 84, annule les directives de la Commission au motif que, compte tenu du principe constitutionnel du respect et de la protection des minorités, « la Commission n’était pas libre d’exécuter seulement son mandat de “restructuration des services de santé”, et de faire fi du rôle institutionnel plus vaste joué par l’Hôpital Montfort en tant que centre vraiment francophone, nécessaire à la progression et à l’amélioration de l’identité franco-ontarienne comme minorité culturelle et linguistique en Ontario et à la protection de cette culture contre l’assimilation ».  La Cour divisionnaire, à la p. 68, reconnaît explicitement qu’ « il n’est pas question de la validité ou de l’invalidité constitutionnelle d’une disposition législative ».  La Cour divisionnaire ajoute : « Il s’agit de déterminer si les actes d’un organisme gouvernemental s’inscrivent dans les paramètres de ce que permet la Constitution […] [i]l y a une différence entre la validité d’une disposition législative et la possibilité d’un comportement non constitutionnel en application de cette disposition ».  Nous sommes d’accord avec la qualification de la question constitutionnelle faite par la Cour divisionnaire.

[125]      Pour les motifs exposés ci-après, nous en venons à la conclusion que le principe structurel du respect et de la protection des minorités renfermé dans la Constitution est un principe fondamental qui a une incidence directe sur l’interprétation à donner à la L.S.F. et sur la légalité des directives de la Commission touchant Montfort.  C’est sur ce principe fondamental que repose également notre analyse quant à l’assujettissement des directives de la Commission au contrôle des tribunaux.

[126]      Nous examinerons d’abord la L.S.F. et son application aux faits de l’espèce à la lumière des principes d’interprétation applicables aux droits linguistiques et à la lumière du principe constitutionnel de respect et de protection des minorités.  Nous verrons ensuite comment les principes non écrits de la Constitution régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à des organismes créés par la loi, mandatés pour agir dans l’intérêt du public, et dans quelle mesure ils autorisent la révision judiciaire des décisions de ces organismes.  Comme la conclusion à laquelle nous en arrivons sur ces deux questions suffit à trancher l’appel, il ne nous sera pas nécessaire de répondre à la question plus générale, savoir si le principe constitutionnel fondamental du respect et de la protection des minorités créé un droit constitutionnel spécifique permettant d’attaquer la validité d’un acte de la législature ou suffisant pour obliger la province à agir d’une manière précise.

Cinquième question : Les directives de la Commission violent-elles la Loi sur les services en français?

[127]      La Cour divisionnaire statue, à la p. 70, que la désignation de Montfort en tant qu’organisme de service public aux termes de la L.S.F. a l’effet suivant :

[L]a collectivité francophone de l’Ontario avai[t] acquis un droit reconnu par la législation de recevoir des services de santé dans un milieu vraiment francophone à l’Hôpital Monfort, et pouvai[t] s’attendre à recevoir ces services de qualité qui soient aussi étendus qu’ils l’étaient à Monfort, y compris l’existence d’un centre de formation qui garantissait l’enseignement aux professionnels de la médecine en français.

[128]      L’interprétation à donner à la L.S.F.  est au cœur même du présent appel.

[129]      La L.S.F. est un exemple d’utilisation, par la législature provinciale de l’Ontario, du par. 16(3), pour enrichir les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte pour faire progresser l’égalité de statut ou d’emploi du français.  L’aspiration exprimée par le par. 16(3) – faire progresser le français vers une égalité effective avec l’anglais en Ontario – est d’une grande importance pour interpréter la L.S.F.

[130]      De plus, le principe du respect et de la protection des droits linguistiques de la minorité peut servir utilement non seulement à interpréter la L.S.F., mais aussi à évaluer la validité des directives de la Commission à la lumière de cette loi.  Autant l’action gouvernementale que la loi doivent être examinées à la lumière des principes constitutionnels, notamment des principes constitutionnels non écrits.

[131]      Comme l’indique son titre, la L.S.F. porte sur le droit de recevoir des services en français.  Les principes d’interprétation émanant de la jurisprudence sur les droits linguistiques ont une grande portée sur la manière d’envisager la L.S.F.  Exposons maintenant ces principes.

[132]      À une certaine époque, la Cour suprême du Canada interprétait les droits linguistiques dans une optique restrictive.  Dans l’arrêt Société des Acadiens, précité, à la p. 578, le juge Beetz, au nom de la majorité, statue que les droits linguistiques, résultats d’un « compromis politique », devaient faire l’objet de retenue judiciaire par opposition aux garanties juridiques, qui sont de nature « féconde parce qu’elles sont fondées sur des principes ».  Il est maintenant évident, toutefois, que cette approche étroite et restrictive a été abandonnée et que les droits linguistiques doivent être traités comme des droits fondamentaux de la personne et interprétés libéralement par les tribunaux.

[133]      Dans Ford c. Québec (P.G.), [1988] 2 R.C.S. 712, à la p. 748, la Cour suprême rejette l’argument selon lequel les droits linguistiques spécifiques protégés par la Constitution sont exhaustifs, au point d’exclure de la liberté d’expression le droit d’employer la langue de son choix.  La Cour cite son arrêt dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, précité, à la p. 744 :

L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain.  C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous.  Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

Dans Ford, la Cour ajoute, à la p. 748:

La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l’expression qu’il ne peut y avoir de véritable liberté d’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de son choix.  Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression.  Il colore le contenu et le sens de l’expression.

[134]      De même, dans Mahe, précité, la Cour interprète l’art. 23 de la Charte, qui garantit le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité, dans une optique libérale et téléologique, c’est-à-dire qui assure l’accomplissement de son objet.  S’exprimant au nom de la Cour, le juge en chef Dickson, à la p. 362, rappelle l’importance culturelle de la langue :

[T]oute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question.  Une langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle.  C’est le moyen par lequel les individus se comprennent eux-mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent.

[135]      Le juge en chef mentionne, à la p. 363, l’importance des écoles en tant qu’institutions qui agissent comme « centres communautaires qui peuvent favoriser l’épanouissement de la culture de la minorité linguistique et assurer sa préservation ».  En ce qui concerne les restrictions imposées par l’approche étroite adoptée dans Société des Acadiens, le juge en chef Dickson observe, à la p. 365 :

Tant son origine que la forme qu’il revêt témoignent du caractère inhabituel de l’art. 23.  En effet, l’art. 23 confère à un groupe un droit qui impose au gouvernement des obligations positives de changer ou de créer d’importantes structures institutionnelles.  S’il y a lieu d’être prudent dans l’interprétation d’un tel article, cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas « insuffler la vie » à l’objet exprimé ou devraient se garder d’accorder les réparations, nouvelles peut-être, nécessaires à la réalisation de cet objet..

[136]      Plus récemment, dans R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux pp. 791 et 792, la Cour suprême a carrément rejeté l’approche restrictive adoptée dans Société des Acadiens et statué qu’une interprétation large et libérale des droits linguistiques était de mise :

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.  Dans la mesure où l’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté.  La crainte qu’une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l’expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d’interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent.

[Soulignement dans le texte original, références omises.]

[137]      Nous notons que dans Beaulac, la Cour interprète des droits linguistiques conférés par le Code criminel, et que la règle d’interprétation énoncée s’applique autant aux droits linguistiques conférés par une loi ordinaire que par une garantie constitutionnelle.

[138]      Dans Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, à la p. 24, la Cour suprême reprend sa déclaration dans Mahe voulant qu’une garantie des droits linguistiques soit « indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question ».   La Cour confirme aussi la position adoptée dans Beaulac, selon laquelle les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation téléologique, tenant compte du contexte historique et social, des injustices passées, et de l’importance des droits et des institutions pour la minorité linguistique touchée.

[139]      Comme nous l’avons expliqué, les dispositions de la L.S.F. doivent être interprétées à la lumière de ces principes.

[140]      Outre l’aspiration exprimée par le par. 16(3), le principe du respect et de la protection de la minorité francophone en Ontario, et l’interprétation large et téléologique que doivent recevoir les droits linguistiques, les principes généraux d’interprétation des lois s’appliquent également.  L’interprétation d’une loi ne peut reposer uniquement sur son libellé.  Comme l’explique le juge en chef McLachlin dans R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, aux pp. 74 et 75, la bonne méthode est exposée par Driedger dans Construction of Statutes, 2e éd. (1983), à la p. 87 :

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Le contexte et l'objet de la loi

[141]      La L.S.F. était présentée et adoptée en 1986 dans le contexte général d’une progression et d’une amélioration constantes des services en français. [2]   Dans sa présentation du projet de loi, le 1er mai 1986, l’honorable Bernard Grandmaître, ministre délégué aux Affaires francophones, déclare (Journal des débats de l’Assemblée législative de l’Ontario, aux pp. 203 et 204) :

[TRADUCTION] Notre province assume une responsabilité particulière à cet égard [faire en sorte que les francophones reçoivent des services dans leur propre langue], parce que l’Ontario est le foyer de la plus grande collectivité de Canadiens d’expression française hors du Québec.  C’est pourquoi le gouvernement de l’Ontario entend garantir par la loi les droits des francophones de recevoir les services du gouvernement en français. 

Les diverses mesures contenues dans ce projet de loi s’inspirent des principes fondamentaux de justice et d’égalité auxquels nous attachons tant d’importance dans cette province.  Ce sont deux principes fondamentaux sur lesquels les deux peuples fondateurs ont érigé notre pays.  Le gouvernement de l’Ontario estime qu’il est maintenant temps que cette réalité et cette dualité s’expriment dans le fonctionnement de tous les ministères.  (Soulignement ajouté.)

[142]      Cette allocution, parmi d’autres au même effet prononcées par des députés, signalait que les gouvernements de l’Ontario avaient, au fil des ans, modifié leur attitude envers le français.  Le projet de loi était le résultat d’années d’efforts successifs, dont l’objectif était la prestation de services aux francophones dans leur propre langue.  Le projet de loi a reçu l’appui unanime des trois partis politiques représentés à l’Assemblée législative, et des modifications ont été proposées pour assurer l’efficacité de ses sauvegardes.  Par exemple, l’al. 8(1)d) de la L.S.F., qui prévoit qu’un organisme peut être exempté de fournir des services en français lorsque, de l’avis du lieutenant-gouverneur en conseil, « cette mesure s’avère raisonnable et nécessaire » s’est vu rajouter les mots « et si elle ne porte pas atteinte à l’objet général de la présente loi » : voir le Journal des débats de l’Assemblée législative de l’Ontario, 6 novembre 1986, aux pp. 3202 et 3203.

[143]      L’historique législatif et les déclarations des députés entourant l’adoption de la L.S.F. autorisent notre Cour à tirer un certain nombre de conclusions à propos des buts et objectifs sous-jacents de la L.S.F. et de l’intention du législateur.  L’un des buts et objectifs sous-jacents de la loi était de protéger la minorité francophone en Ontario; un autre était de faire progresser le français et de favoriser son égalité avec l’anglais.  Ces objectifs coïncident avec les principes sous-jacents non écrits de la Constitution du Canada.  Comme nous l’avons déjà déclaré, les principes constitutionnels sous-jacents peuvent dans certaines circonstances engendrer des obligations légales substantielles à cause de leur puissante force normative : Renvoi relatif aux juges provinciaux, précité, aux pp. 67 à 70, motifs du juge en chef Lamer, et Renvoi relatif à la sécession, précité, aux pp. 249, 290 et 291.

Le texte et l’exposé de la loi

[144]      Pour plus de commodité, la L.S.F. (la Loi) est jointe à titre d’annexe A aux présents motifs.

[145]      Le préambule déclare que la Loi est une reconnaissance de l’apport du patrimoine culturel de la population francophone et l’expression de la volonté de l’Assemblée législative de sauvegarder ce patrimoine pour les générations à venir.  Même si un préambule n’est pas une source de droit positif, par opposition aux dispositions qui le suivent, il contribue à l’interprétation de la loi : Renvoi relatif aux juges provinciaux, à la p. 69.

[146]      En l’espèce, le préambule stipule « qu’il est souhaitable de garantir l’emploi de la langue française dans les institutions […] du gouvernement de l’Ontario, comme le prévoit la présente loi » [soulignement ajouté].  L’une de ces institutions est Montfort, un organisme gouvernemental aux termes de la Loi.

[147]      L’article 1 définit un « organisme gouvernemental » en partie comme une personne morale à but non lucratif, subventionnée à même les deniers publics, qui fournit un service au public et qui est désignée par règlement.  Montfort répond à cette définition.  Le mot « service » est aussi défini à l’art. 1 comme un service ou une procédure fourni par un organisme gouvernemental, et « [s]’entend en outre des communications faites en vue de fournir le service ou la procédure ».

[148]      L’article 2 oblige le gouvernement de l’Ontario à assurer la prestation des services en français conformément à la Loi.  La L.S.F. n’impose pas le bilinguisme institutionnel dans l’ensemble de la province.  Elle énonce plutôt une politique modérée qui varie selon les circonstances.  Par conséquent, notre jugement s’inscrit dans un contexte précis.  Nous ne statuons pas à propos de toutes les situations hypothétiques qui peuvent survenir concernant les droits linguistiques de la minorité francophone dans la province.

[149]      Le paragraphe 5(1) de la Loi donne à chacun le droit « à l’emploi du français […]  pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale d’un organisme gouvernemental […] et pour en recevoir les services » (en anglais « available services ») et « le même droit à l’égard de tout autre bureau de l’organisme […] qui se trouve dans une région désignée à l’annexe ou qui sert une telle région ». Le droit conféré par l’art. 5 ne s’applique pas à tous les organismes gouvernementaux.  Il s’applique uniquement aux institutions définies en tant qu’organisme gouvernemental aux termes de l’art. 1.  Montfort reçoit des deniers publics et est désigné en vertu de la Loi.  Montfort répond à la définition d’un organisme gouvernemental.  Ottawa-Carleton est aussi une région désignée dans l’annexe.  Par conséquent, chacun a le droit d’employer le français pour communiquer avec Montfort et pour en recevoir les services, droit qui s’applique aussi à tout « bureau » de Montfort.  Pour comprendre le sens du terme « services » employé à l’art. 5, il est utile de donner un aperçu des autres dispositions de la Loi.

[150]      L’article 6 confère une certaine protection aux pratiques existantes touchant l’utilisation du français ou de l’anglais hors du champ d’application de la Loi.  Il prévoit que la Loi ne peut pas servir à limiter l’utilisation de l’une ou de l’autre langue hors de son champ d’application. 

[151]      L’obligation des organismes gouvernementaux de fournir des services en français, prévue par l’article 7, est assujettie aux « limitations raisonnables et nécessaires qu’exigent les circonstances », mais l’article 7 exige d’abord que « toutes les mesures raisonnables [aient] été prises et que tous les projets raisonnables [aient] été élaborés afin de faire respecter la présente loi ».

[152]      L’article 8 donne au lieutenant-gouverneur en conseil le pouvoir d’adopter des règlements a) qui désignent des organismes offrant des services publics; b) qui modifient l’annexe en y ajoutant des régions; c) qui exemptent des services de l’application des articles 2 et 5 si, à son avis, « cette mesure s’avère raisonnable et nécessaire et si elle ne porte pas atteinte à l’objet général de la présente loi » [soulignement ajouté].

[153]      L’article 9 édicte que le droit de recevoir des services en français de la part d’un organisme désigné peut être restreint, en ce que la désignation peut porter uniquement sur certains services spécifiés, par opposition à l’ensemble des services fournis par l’organisme, ou encore l’organisme peut exclure certains services de la désignation.  Montfort n’a spécifié aucun service à inclure ou à exclure du champ d’application de la désignation.  Par conséquent, la désignation s’applique à tous les services offerts par Montfort.

[154]      En vertu de l’art. 10, lorsqu’un règlement vise à exempter un service, à révoquer la désignation d’un organisme offrant des services publics, ou à modifier un règlement qui désigne un organisme offrant des services publics de manière à exclure ou à soustraire un service de la portée de la désignation, un avis d’au moins 45 jours doit avoir au préalable été publié dans la Gazette de l’Ontario et dans un journal généralement lu en Ontario, invitant le public à soumettre ses commentaires au ministre délégué aux Affaires francophones.  Après l’expiration de ce délai, le règlement peut être pris sans avis additionnel.

[155]      La conséquence de l’art. 10 est donc qu’un règlement doit être adopté lorsqu’on modifie les services offerts par un organisme gouvernemental.  Avant l’adoption du règlement, un avis de 45 jours de la modification doit d’abord être publié à la fois dans la Gazette de l’Ontario et dans un journal généralement lu, invitant les commentaires.

[156]      L’article 11 énonce que le ministre délégué aux Affaires francophones est chargé de l’application de la loi.  Ses fonctions sont d’élaborer et de coordonner la politique et les programmes du gouvernement.

[157]      Le paragraphe 12(2) dispose que l’Office des affaires francophones peut, notamment, « recommander des modifications aux projets des organismes gouvernementaux en ce qui concerne la prestation des services en français » et « faire des recommandations en ce qui concerne une exemption ou l’exemption proposée d’un service aux termes de l’alinéa 8(1) c) ».

[158]      L’article 13 exige la nomination d’un coordonnateur des services en français au sein de chaque ministère.  Tous les coordonnateurs constituent un comité que préside l’Office des affaires francophones.

[159]      L’Ontario prétend que la désignation d’un organisme gouvernemental en vertu de la Loi donne uniquement le droit de recevoir les services offerts par l’organisme désigné à n’importe quel moment donné.  Au soutien de son argument, l’Ontario invoque le libellé de l’art. 5 : « Chacun a droit à l’emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec […] un organisme gouvernemental […] et pour en recevoir les services.  » (« available services » dans le texte anglais), [soulignement ajouté].  L’Ontario prétend que la Loi donne uniquement le droit de recevoir les services offerts par Montfort, quels qu’ils soient au moment où ils sont offerts.  Si Montfort offre dix services en français une année, puis deux services en français l’année suivante, c’est tout ce qu’on aura le droit de recevoir.  L’Ontario ajoute que la L.S.F. prescrit que seuls les « services » doivent être fournis en français, ce qui exclut la formation en français des professionnels de la santé.

[160]      Nous rejetons cet argument.  À notre avis, le mot « services » (« available services ») employé à l’art. 5 de la Loi fait référence aux services de soins de santé offerts quand l’organisme a été désigné en vertu de la Loi.  Le législateur a très clairement indiqué son intention, dans le préambule de la L.S.F., de « garantir » la prestation de services en français.  La thèse de l’Ontario, prise au pied de la lettre, aurait pour conséquence de porter gravement atteinte à cette garantie.  On souligne que la version française de la loi ne parle pas de « available services » mais seulement de « services », ce qui renforce notre interprétation.  Notre interprétation est par ailleurs conforme aux objectifs de la L.S.F, à l’aspiration exprimée par le par. 16(3) de la Charte, et au principe constitutionnel non écrit de respect et de protection des minorités.

[161]      De plus, la thèse de l’Ontario ne respecte pas l’exposé de la Loi.  La désignation de Montfort ne s’applique pas uniquement à l’égard de services précis.  Elle s’applique à l’égard de l’ensemble des services de soins de santé offerts par Montfort quand il a été désigné.  Si la thèse de l’Ontario était exacte, il ne serait jamais nécessaire d’adopter un règlement modificatif aux termes de l’art. 8 ou de donner l’avis visé dans l’art. 10 pour exempter ou soustraire un service de la désignation.   À notre avis, avant de soustraire un service existant, comme la cardiologie, de la désignation de Montfort, il aurait fallu procéder par règlement, parce que les services de cardiologie en français allaient être retirés non seulement de Montfort, mais de toute la région d’Ottawa-Carleton.  Bien entendu, encore aurait-il fallu que les conditions requises de l’art. 7, qui assujettissent la restriction des services de santé en français « aux limitations raisonnables et nécessaires qu’exigent les circonstances », aient d’abord été respectées.

[162]      La Commission semble avoir tenté de formuler ses directives de manière à rendre disponibles des services de santé équivalents en français dans d’autres institutions.  La langue et la culture ne sont pas, toutefois, des institutions distinctes et étanches.  La Cour divisionnaire constate que, dans les faits, les directives de la Commission auraient pour conséquence de réduire la disponibilité des services de santé en français et l’accès à ces services, directement dans la région d’Ottawa-Carleton et de l’est de l’Ontario, et indirectement en compromettant la formation des professionnels de la santé, ce qui, à son tour, accroîtrait l’assimilation des Franco-Ontariens.  La désignation de Montfort en vertu de la L.S.F. inclut non seulement le droit aux services de santé en français existant au moment de la désignation, mais aussi le droit à toute structure nécessaire assurant la prestation de ces services de santé en français.  Cela comprend la formation des professionnels de la santé en français.  Interpréter la Loi de toute autre manière, c’est lui donner une interprétation étroite, littérale, limitée, par opposition à une interprétation qui reconnaît et traduit l’intention du législateur.

[163]      On peut difficilement prétendre que les graves conséquences occasionnées par les directives de la Commission sont conformes aux buts et objectifs de la L.S.F.  Les directives ne concordent pas non plus avec les critères du gouvernement applicables à la désignation d’un organisme en vertu de la L.S.F.  Ces critères sont les suivants : 1) le caractère continu et la qualité des services en français; 2) l’accès aux services en français; 3) la représentation des francophones dans les organes de direction et de gestion de l’institution; 4) la responsabilité (C.R.S.S., Rapport d’août 1997, à la p. 96).  La procédure de désignation comprend l’élaboration et la présentation d’un plan expliquant comment l’institution qui demande la désignation répond à ces critères.  En désignant Montfort en vertu de la Loi, le gouvernement de l’Ontario a officiellement indiqué que Montfort, un hôpital communautaire général, devait offrir un accès permanent et facile à des services en français.  Les directives de la Commission modifient cette prise de position officielle.  La Commission elle-même admet que le transfert de services de Montfort aura pour conséquence que « certains » services existants ne seront plus disponibles en français dans la région d’Ottawa-Carleton, et qu’il ne sera plus possible de former des professionnels de la santé entièrement en français dans un cadre bilingue.  Ni la Commission, ni l’Ontario maintenant, ne justifient ce changement de position.  Par ailleurs, l’art. 7 de la L.S.F. n’a pas non plus été respecté.

[164]      L’article 7 de la L.S.F. prévoit que le droit de recevoir des services en français est assujetti uniquement « aux limitations raisonnables et nécessaires qu’exigent les circonstances », « [s]i toutes les mesures raisonnables ont été prises et que tous les projets raisonnables ont été élaborés afin de faire respecter la présente loi ».  Le juge Pigeon, dans Rédaction et interprétation des lois, 3e éd. (1986), à la p. 36, définit le terme « nécessaire » comme suit : « une chose absolument indispensable, ce dont on ne peut rigoureusement pas se passer.  En somme, une nécessité inéluctable. »  Le mot « nécessaire » dans ce contexte semble vouloir dire que les services existants ne peuvent être restreints que s’il s’agit de la seule et unique ligne de conduite possible. 

[165]      Avant de restreindre les services de Montfort en tant qu’hôpital communautaire, l’Ontario doit également avoir pris « toutes les mesures raisonnables » afin de faire respecter la Loi.  Il est possible de définir assez précisément les mesures qui ne sont pas « raisonnables ».  Prendre « toutes les mesures raisonnables » ne signifie pas simplement d’ordonner à l’hôpital qui accueillera les services de demander sa désignation en vertu de la L.S.F., puis transférer les services en français avant que cette désignation n’ait été accordée.  Prendre « toutes les mesures raisonnables » ne signifie pas non plus rendre en apparence impossible la formation des professionnels de la santé en français, puis laisser la communauté touchée résoudre le problème elle-même.  Les directives de la Commission ne sont pas conformes à l’art. 7 de la Loi.

[166]      Bien que les expressions « raisonnables et nécessaires » et « toutes les mesures raisonnables » ne puissent pas être définies avec une précision absolue, elles exigent à tout le moins la justification ou l’explication des directives restreignant le droit des francophones de bénéficier des services de Montfort comme hôpital communautaire.

[167]      Même si le lieutenant-gouverneur en conseil peut adopter des règlements qui exemptent des services de l’application des art. 2 et 5 lorsque, à son avis, cette mesure s’avère raisonnable et nécessaire, on n’a pas cherché à adopter un règlement pour exempter la prestation de services de santé en français.  Rappelons aussi qu’un règlement qui exempte un service de l’application de la Loi ne doit pas porter atteinte au but général de la Loi.  Ces dispositions supposent un examen objectif des mesures et indiquent que le pouvoir discrétionnaire du lieutenant-gouverneur n’est pas absolu.

[168]      Même si la Commission, et maintenant le Ministre, peut modifier et limiter à sa discrétion les services offerts en français par Montfort, sa décision ne peut pas reposer sur de simples arguments de commodité administrative et de vagues préoccupations de financement.  Voir par analogie R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux pp. 805 et 806;  Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 C.S.C. 41, au par. 116.  Le mandat de la Commission doit se concilier avec les obligations imposées par la L.S.F.  La Commission ne peut pas donner de directives retirant les services offerts en français à Montfort, en particulier lorsque les services ne sont pas offerts en français à temps plein ailleurs dans la région d’Ottawa-Carleton, sans d’abord établir que cette mesure est « raisonnable et nécessaire » aux termes de la L.S.F.

[169]      Par conséquent, nous concluons que les directives de la Commission ne respectent pas les exigences statutaires imposées par la L.S.F.

Sixième question : Les directives de la Commission peuvent-elles faire l’objet d’une révision fondée sur le principe constitutionnel non écrit du respect et de la protection des minorités?

[170]      La Commission jouissait d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de formuler des directives concernant la restructuration du système de santé de l’Ontario.  Il n’est pas contesté qu’en tant qu’hôpital public, Montfort était assujetti à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission.

[171]      Il est établi depuis longtemps en droit canadien qu’ [TRADUCTION] « il n’y a rien de tel qu’une “discrétion” absolue et sans entraves » : Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140, motifs du juge Rand.  Dans l’arrêt Mont-Sinaï, précité, la Cour suprême a examiné l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre québécois de la Santé en rapport avec l’hôpital Mont-Sinaï.  L’article 138 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., c. S-4.2, est semblable à l’art. 6 de la Loi sur les hôpitaux publics.  Les deux lois accordent au ministre de la Santé un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre les mesures qu’il ou elle considère justifiées dans l’intérêt du public.  Dans ses motifs concordants, au par. 16, le juge Binnie écrit :

À vrai dire, comme le souligne l’appelant, le pouvoir conféré au Ministre par l’art. 138 est libellé comme un large pouvoir discrétionnaire, en matière de politique générale, qui doit être exercé dans « l’intérêt public ».  Néanmoins, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, quelque général que puisse être son libellé.  Le Ministre doit à tout le moins l’exercer aux fins pour lesquelles il est conféré : Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140; Padfield c. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.), p. 1030.

[172]      Le principe fondamental voulant que les pouvoirs discrétionnaires d’un ministre soient assujettis au contrôle judiciaire a été appliqué en rapport avec l’art. 23 de la Charte, concernant le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité.  Dans Arsenault-Cameron, précité, les juges Major et Bastarache ont infirmé la décision du ministre de l’Éducation de ne pas établir une école de langue française, à cause du nombre insuffisant d’élèves francophones.  Ils écrivent, à la p. 27 :

Le ministre a l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à ce que prévoit la Charte; voir Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.  Lorsqu’il a pris sa décision, le ministre n’a pas accordé une importance suffisante à la promotion et à la préservation de la culture de la minorité linguistique et au rôle de la commission de langue française en soupesant les considérations d’ordre pédagogique et culturel.  Il était essentiel de tenir pleinement compte du caractère réparateur du droit.  La méthode adoptée par le ministre a donc augmenté les risques que sa décision ne puisse résister à une révision constitutionnelle par les tribunaux..

[173]      En l’espèce, aucune garantie constitutionnelle écrite ne joue, mais la situation implique de lourdes conséquences pour la minorité franco-ontarienne, au point de faire intervenir le principe constitutionnel de respect et de protection des minorités.

[174]      Les valeurs constitutionnelles fondamentales ont une force juridique normative.  Même si le texte de la Constitution ne contient pas expressément un droit spécifique susceptible d’être sanctionné par les tribunaux, les valeurs constitutionnelles doivent être prises en compte dans l’évaluation de la validité ou de la légalité d’une action gouvernementale.  C’est là un principe bien ancré dans notre droit.  Avant l’avènement de la Charte et l’enchâssement constitutionnel des droits et libertés, il ne faisait aucun doute que ces mêmes droits étaient des valeurs constitutionnelles fondamentales.  Même s’ils n’avaient pas été cristallisés par leur inscription et leur formulation expresses dans la Constitution, ils étaient régulièrement utilisés par les tribunaux pour interpréter la loi et pour apprécier la légalité d’un acte de l’Administration.  Voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344.  Les droits et libertés fondamentaux dans une démocratie libérale sont en grande partie issus de notre héritage parlementaire britannique.  Comme l’explique le juge Rand dans Saumur c. Québec (Ville), [1953] 2 R.C.S. 299, à la p. 329, [TRADUCTION] « [l]a liberté de parole, de religion et l’inviolabilité de la personne sont des libertés primordiales qui constituent les attributs essentiels de l’être humain, son mode nécessaire d’expression et la condition fondamentale de son existence au sein d’une collectivité régie par un système juridique ».  Même si ces droits et libertés fondamentaux n’ont pas été inscrits dans le texte de la Constitution avant 1982, les tribunaux pouvaient en tenir compte pour trancher une affaire ou interpréter une loi, et pour étudier la légalité d’une action du gouvernement.

[175]      De même, depuis l’adoption de la Charte, l’application de valeurs constitutionnelles à des situations non régies expressément par le texte de la Constitution a été reconnue et acceptée.  La Charte ne s’applique pas entre particuliers.  Pourtant les valeurs qu’elle contient doivent être appliquées par les tribunaux rendant des décisions qui génèrent de la common law : S.D.G.M.R., c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130.

[176]      Les normes constitutionnelles non écrites peuvent, dans certaines circonstances, autoriser la révision judiciaire de décisions discrétionnaires.  Comme l’écrivait Bora Laskin alors qu’il était professeur de droit constitutionnel, dans « An Inquiry Into the Diefenbaker Bill of Rights » (1959) 37 R. du B. can. 77, à la p. 81, même si elles n’étaient pas inscrites dans la Constitution, les libertés fondamentales étaient souvent employées [TRADUCTION] « comme outil de contrôle judiciaire des décisions de l’Administration. »  Plus récemment, le professeur David Mullan commente le même principe dans Administrative Law (2001), à la p. 114, faisant remarquer qu’avant l’adoption de la Charte, les tribunaux [TRADUCTION] « scrutaient avec soin l’exercice du pouvoir discrétionnaire », lorsque des droits et libertés fondamentaux étaient en jeu.  Le pouvoir conféré par la loi de prendre une décision discrétionnaire ne met pas à l’abri de la révision judiciaire le décideur qui ne respecte pas les valeurs fondamentales de l’ordre juridique du Canada.  Dans « Unwritten Constitutionalism in Canada: Where Do Things Stand? » (2001) 35 Can. Bus. L. J. 113, à la p. 115, le professeur Choudhry remet en question la validité du recours à des principes non écrits pour contester la constitutionnalité d’une loi, mais considère comme salutaire leur utilisation pour contrôler les actes de l’Administration : [TRADUCTION] « Les principes non écrits auxquels on a eu recours pour contrôler les actes du gouvernement s’appliquent de la même manière que les motifs de révision judiciaire, issus de la common law, des actes de l’Administration. »

[177]      La possibilité de réviser une décision discrétionnaire en fonction de principes constitutionnels et de valeurs fondamentales de la société canadienne est renforcée par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 : voir Mullan, précité, chapitre 6; Dyzenhaus et Fox-Decent, « Rethinking the Process/Substance Distinction: Baker v. Canada » (2001), 51 U.T.L.J. 193; MacLachlan, « Transforming Administrative Law: The Didactic Role of the Supreme Court of Canada » (2001) 40 R. du B. can. 281.  Dans Baker, la Cour se penche sur la contestation d’une décision du ministre, qui refusait à une femme la permission d’être dispensée de faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada pour des raisons d’ordre humanitaire. Faisant remarquer que la décision discrétionnaire prise par un ministre en application d’une disposition de la loi libellée de manière très large est habituellement traitée avec le plus grand respect par les tribunaux, le juge L’Heureux-Dubé écrit, aux pp. 853 à 855, qu’il existe tout de même des limites importantes à respecter, sous peine de sanction par les tribunaux, lorsque des valeurs constitutionnelles et sociales fondamentales sont en jeu :

[L]’exercice du pouvoir discrétionnaire doit quand même rester dans les limites d’une interprétation raisonnable de la marge de manœuvre envisagée par le législateur, conformément aux principes de la primauté du droit (Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121), suivant les principes généraux de droit administratif régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et de façon conciliable avec la Charte canadienne des droits et libertés.

[…]

Toutefois, même si, en général, il sera accordé un grand respect aux décisions discrétionnaires, il faut que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte.

[178]      Le juge L’Heureux-Dubé conclut que la décision du ministre de refuser la dispense à une femme qui avait donné naissance à quatre enfants pendant ses 11 années au Canada contrevenait aux valeurs exprimées dans la Convention relative aux droits de l’enfant.  La Convention avait été ratifiée par le Canada, mais non adoptée par une loi du Parlement.  Le ministre, trancha que la majorité de la Cour suprême du Canada à la p. 859, était tenu « d’accorder de l’importance et de la considération » aux valeurs de la Convention et à l’intérêt des enfants de la requérante, qui seraient abandonnés si elle n’était pas admise.  La décision du ministre a été infirmée. 

[179]      Si les valeurs exprimées dans une convention internationale non incorporée au droit canadien par une loi du Parlement ont une incidence sur la validité d’une décision discrétionnaire prise par un ministre, alors force est de conclure que le non-respect d’un principe fondamental de la Constitution rend une décision discrétionnaire sujette à une révision judiciaire.

[180]      La Commission était obligée par la loi d’exercer ses pouvoirs à l’égard de Montfort conformément à l’intérêt public.  Afin de décider de ce qui est de l’intérêt public, la Commission était tenue de prendre en considération le principe constitutionnel fondamental du respect et de la protection des minorités.  De plus, la Commission devait tenir compte des recommandations des conseils de santé régionaux.  Comme nous l’avons signalé plus haut, les conseils de santé régionaux ont reconnu le rôle unique de Montfort et son importance pour la survie continue de la langue française et de la culture de la collectivité francophone.  La Commission a toutefois estimé que le rôle institutionnel plus large de Montfort dépasse son mandat.  C’est ce que démontre la lettre écrite par le docteur Sinclair, datée du 22 février 1999, à laquelle nous avons déjà fait référence dans les paragraphes 49 et 72.

[181]      Nous convenons avec la Cour divisionnaire qui affirme, aux pp. 65 et 66, que la langue et la culture de la minorité francophone en Ontario « occupent une place privilégiée dans le tissu de la société canadienne en tant que l’une des collectivités fondatrices du Canada et que [le français est] l’une des deux langues officielles dont les droits sont inscrits dans la Constitution. »  Si elles étaient mises à exécution, les directives de la Commission porteraient grandement atteinte au rôle de Montfort en tant qu’importante institution, vitale pour la minorité francophone de l’Ontario sur les plans linguistique, culturel et éducatif.  Une telle atteinte serait contraire au principe constitutionnel fondamental de respect et de protection des minorités.

[182]      L’Ontario invoque le passage suivant de l’arrêt Mont-Sinaï, précité, dans lequel le juge Bastarache écrit, au par. 58 : « La norme de retenue la plus élevée, celle du caractère manifestement déraisonnable, doit généralement être appliquée aux décisions que prennent des ministres en exerçant des pouvoirs discrétionnaires en contexte administratif. »

[183]      Il ne fait aucun doute que les directives de la Commission doivent faire l’objet du plus grand respect par les tribunaux : Pembroke Civic Hospital c. Ontario (Health Services Restructuring Commission) (1997), 36 O.R. (3d) 41 (Div. Ct.).  Toutefois, comme nous l’avons signalé, ces directives ne sont pas à l’abri d’une révision judiciaire.  Même si les tribunaux doivent exercer une grande retenue à l’égard des directives de la Commission, comme il est écrit dans Baker, précité, à la p. 859, citant Dyzenhaus, « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy » dans Taggart, dir. The Province of Administrative Law (1997) 279, à la p. 286, la retenue [TRADUCTION] « […] ne demande pas la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ».  Voir aussi « Transforming Administrative Law », précité, où le professeur MacLachlan déclare, à la p. 289 :

[TRADUCTION] Comme l’explique le juge McLachlin [dans « The Roles of Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule of Law » (1999) 12 C.J.A.L.P. 171], la primauté du droit doit être considérée comme un attribut essentiel du pouvoir décisionnel dans une société démocratique, ayant pour principe dominant « une certaine philosophie de la justification », en vertu de laquelle l’exercice de la puissance publique n’est légitime que lorsqu’on peut le justifier envers les justiciables en termes de rationalité et d’équité.  [Soulignement dans le texte original.]

[184]      La Commission n’a pas présenté de justification à l’appui de sa décision de réduire le rôle important de Montfort sur les plans linguistique, culturel et éducatif pour la minorité franco-ontarienne.  Elle a affirmé que cette question dépassait le cadre de son mandat.  La Commission n’a pas porté attention aux valeurs constitutionnelles pertinentes, ni n’a tenté de justifier le non-respect de ces valeurs au motif que c’était nécessaire pour atteindre un autre objectif important.  Malgré le respect dû à la Commission, les directives qu’elle doit donner dans l’intérêt public, ne sont pas à l’abri d’une révision judiciaire lorsqu’elles empiètent sur les valeurs constitutionnelles fondamentales sans offrir aucune justification.

[185]      La Cour divisionnaire n’a pas conclu que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle, ce qui était la norme applicable en l’espèce, comme en conviennent les parties.  L’Ontario fait remarquer que les intimés n’ont pas porté en appel cette conclusion du jugement.  Nous estimons toutefois que cet aspect du jugement de la Cour divisionnaire ne doit pas être retiré de son contexte ou lu indépendamment des conclusions principales du jugement.  La Cour divisionnaire a bel et bien conclu que la Commission n’avait pas tenu compte du rôle institutionnel plus large joué par Montfort et qu’elle n’avait pas convenablement respecté un principe fondamental de la Constitution.  L’application de ce principe constitutionnel aux circonstances de l’espèce est carrément soulevée dans l’appel de l’Ontario, et la question en litige a fait l’objet d’une argumentation complète.

[186]      La Cour divisionnaire, considérant la question uniquement sous l’angle du droit administratif, et sans tenir compte de la pertinence des questions constitutionnelles quant à la norme de contrôle, a conclu que la norme était celle de l’erreur manifestement déraisonnable.  Lorsque des droits ou valeurs constitutionnels ou quasi constitutionnels sont en jeu, la norme à respecter est souvent celle de la décision correcte ou raisonnable: voir p. ex.  Baker, précité; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations du travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Ross c. Conseil scolaire du district n° 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825.  En l’espèce, il n’est pas utile ni pertinent de se livrer à une étude détaillée de la norme de contrôle applicable, étant donné que les directives ne peuvent résister à l’examen même le plus respectueux, puisque la Commission a refusé de tenir compte du rôle institutionnel plus large de Montfort ou d’y accorder une quelconque importance.

[187]      Nous en concluons que les directives de la Commission doivent être annulées au motif supplémentaire que, dans l’exercice de sa discrétion, et contrairement au principe constitutionnel du respect et de la protection des minorités, la Commission n’a pas accordé suffisamment de poids et d’importance au rôle de Montfort sur les plans linguistique et culturel pour la survie de la minorité franco-ontarienne.

VI CONCLUSIONS

[188]      Nos conclusions se résument comme suit:

(1)      Nous confirmons les conclusions de fait de la Cour divisionnaire, selon lesquelles les directives de la Commission à Montfort auraient pour effet de :

(a)               réduire la disponibilité des services de soins de santé en français;

(b)              compromettre la formation en français des professionnels de la santé;

(c)              nuire au rôle plus large de Montfort en tant qu’importante institution sur les plans linguistique, culturel et éducatif, vitale pour la minorité francophone de l’Ontario.

(2)     Le statut de Montfort à titre d’institution francophone n’est pas protégé constitutionnellement par le par. 16(3) de la Charte.

(3)     Les directives de la Commission concernant Montfort ne contreviennent pas à l’art. 15 de la Charte; l’appel incident de Montfort est par conséquent rejeté.

(4)     Le principe constitutionnel du respect et de la protection des minorités est une valeur constitutionnelle fondamentale, qui a une incidence importante sur le statut de Montfort et sur la validité des directives de la Commission.

(5)     Le principe constitutionnel fondamental du respect et de la protection des minorités, conjointement avec les principes applicables à l’interprétation des droits linguistiques, font en sorte que la L.S.F. doit recevoir une interprétation large et libérale.

(6)     En adoptant la L.S.F., l’Ontario s’est obligé à procurer les services offerts par Montfort au moment de la désignation en vertu de la Loi, à moins qu’il ne soit « raisonnable et nécessaire » de les limiter.  L’Ontario n’a pas établi qu’il est raisonnable et nécessaire de limiter les services offerts en français par Montfort à la collectivité.  Les directives de la Commission ne respectent pas les conditions de la L.S.F.

(7)     Dans l’exercice de sa discrétion quant à la définition de l’intérêt public, la Commission était tenue, en vertu des principes fondamentaux de la Constitution, d’accorder suffisamment de poids et d’importance au rôle institutionnel de Montfort pour la survie de la minorité franco-ontarienne.  La Commission a considéré que ceci dépassait le cadre de son mandat, rendant ainsi ses directives sujettes à révision judiciaire.  C’est un second motif pour annuler les directives de la Commission.

(8)     L’appel de l’Ontario est rejeté, l’ordonnance annulant les directives de la Commission relatives à Montfort est confirmée, et la question est renvoyée au ministre pour réexamen conformément aux présents motifs.

Prononcé : 07 DÉC 2001


ANNEXE A

Loi sur les services en français

L.R.O. 1990, c. F-32

Modifié par l'ann. du chap. 27 de 1993; l'art. 1 du Règl. de l'Ont. 407/94; l'art. 3 de l'ann. E du chap. 25 de 1997; l'ann. du chap. 26 de 1997; l'art. 4 de l'ann. F du chap. 14 de 1999; l'art. 12 du chap. 5 de 2000.

Préambule

Attendu que la langue française a joué en Ontario un rôle historique et honorable, et que la Constitution lui reconnaît le statut de langue officielle au Canada; attendu que cette langue jouit, en Ontario, du statut de langue officielle devant les tribunaux et dans l'éducation; attendu que l'Assemblée législative reconnaît l'apport du patrimoine culturel de la population francophone et désire le sauvegarder pour les générations à venir; et attendu qu'il est souhaitable de garantir l'emploi de la langue française dans les institutions de la Législature et du gouvernement de l'Ontario, comme le prévoit la présente loi;

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement de l'Assemblée législative de la province de l'Ontario, décrète ce qui suit :

Définitions

1.  Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

«organisme gouvernemental» s'entend des organismes suivants :

a) un ministère du gouvernement de l'Ontario, sauf que les établissements psychiatriques, les foyers et les collèges d'arts appliqués et de technologie administrés par un ministère ne sont pas inclus, à moins d'être désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics;

b) un conseil, une commission ou une personne morale dont la majorité des membres ou des administrateurs sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil;

c) une personne morale à but non lucratif ou une organisation semblable, qui fournit un service au public, reçoit des subventions qui sont prélevées sur les deniers publics, et est désignée par les règlements en tant qu'organisme offrant des services publics;

d) une maison de soins infirmiers au sens de la Loi sur les maisons de soins infirmiers ou un foyer de soins spéciaux au sens de la Loi sur les foyers de soins spéciaux qui sont désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics;

e) un fournisseur de services au sens de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille ou un conseil d'administration au sens de la Loi sur les conseils d'administration de district des services sociaux qui sont désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics.

Sont exclus les municipalités, de même que les conseils locaux au sens de la Loi sur les affaires municipales, à l'exception des conseils locaux qui sont désignés aux termes de l'alinéa e). («government agency»)

«service» Service ou procédure qu'un organisme gouvernemental ou une institution de la Législature fournit au public. S'entend en outre des communications faites en vue de fournir le service ou la procédure. («service») L.R.O. 1990, chap. F.32, art. 1; 1997, chap. 25, annexe E, art. 3.

Prestation des services en français

2.  Le gouvernement de l'Ontario assure la prestation des services en français conformément à la présente loi. L.R.O. 1990, chap. F.32, art. 2.

Droit d'employer le français ou l'anglais à l'Assemblée

3.  (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et les autres travaux de l'Assemblée législative. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 3 (1).

Projets de loi et lois de l'Assemblée

(2) Les projets de loi de caractère public de l'Assemblée qui sont présentés après le 1er janvier 1991 sont présentés et adoptés en français et en anglais. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 3 (2).

Traduction des lois

4.  (1) Le procureur général fait traduire en français, avant le 31 décembre 1991, un recueil, mis à jour, des lois de caractère public et général qui ont été adoptées de nouveau au moyen des Lois refondues de l'Ontario de 1980 ou qui ont été adoptées en anglais seulement après l'entrée en vigueur des Lois refondues de l'Ontario de 1980, et qui demeurent en vigueur le 31 décembre 1990. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 4 (1).

Adoption

(2) Le procureur général présente à l'Assemblée législative les traductions visées au paragraphe (1) afin qu'elle les adopte. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 4 (2).

Traduction des règlements

(3) Le procureur général fait traduire en français les règlements dont il estime la traduction appropriée et recommande les traductions au Conseil exécutif ou à l'autorité compétente afin que le Conseil ou l'autorité les adopte. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 4 (3).

Droit aux services en français

5.  (1) Chacun a droit à l'emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale d'un organisme gouvernemental ou d'une institution de la Législature et pour en recevoir les services. Chacun jouit du même droit à l'égard de tout autre bureau de l'organisme ou de l'institution qui se trouve dans une région désignée à l'annexe ou qui sert une telle région. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 5 (1).

Duplication des services

(2) Lorsque le même service est fourni par plus d'un bureau dans une région désignée, le lieutenant-gouverneur en conseil peut désigner un ou plusieurs des bureaux afin qu'ils fournissent le service en français, s'il est d'avis que le public de la région désignée bénéficiera ainsi d'un accès raisonnable au service en français. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 5 (2).

Idem

(3) Si un ou plusieurs bureaux sont désignés en vertu du paragraphe (2), le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'égard du service offert par les autres bureaux de la région désignée. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 5 (3).

Pratique existante

6.  La présente loi n'a pour effet de porter atteinte à l'utilisation ni de la langue française ni de la langue anglaise hors du champ d'application de la présente loi. L.R.O. 1990, chap. F.32, art. 6.

Limitation des obligations

7.  Si toutes les mesures raisonnables ont été prises et que tous les projets raisonnables ont été élaborés afin de faire respecter la présente loi, les obligations qu'elle impose aux organismes gouvernementaux et aux institutions de la Législature sont assujetties aux limitations raisonnables et nécessaires qu'exigent les circonstances. L.R.O. 1990, chap. F.32, art. 7.

Règlements

8.  Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) désigner des organismes offrant des services publics, aux fins de la définition du terme «organisme gouvernemental»;

b) modifier l'annexe en y ajoutant des régions;

c) exempter des services de l'application des articles 2 et 5 si, de l'avis du lieutenant-gouverneur en conseil, cette mesure s'avère raisonnable et nécessaire et si elle ne porte pas atteinte à l'objet général de la présente loi. L.R.O. 1990, chap. F.32, art. 8.

Désignation restreinte de l'organisme offrant des services publics

9.  (1) Le règlement qui désigne un organisme offrant des services publics peut restreindre le champ d'application de la désignation de sorte que celle-ci ne porte que sur des services précis que fournit l'organisme, ou préciser les services qui sont exclus de la désignation. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 9 (1).

Consentement de l'université

(2) Le règlement pris en application de la présente loi et qui s'applique à une université n'entre pas en vigueur sans le consentement de l'université. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 9 (2).

Avis et observations touchant le règlement d'exemption

10.  (1) Le présent article s'applique au règlement :

a) visant à exempter un service aux termes de l'alinéa 8 (1) c);

b) visant à révoquer la désignation d'un organisme offrant des services publics;

c) visant à modifier un règlement qui désigne un organisme offrant des services publics de manière à exclure ou à soustraire un service de la portée de la désignation. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 10 (1).

Idem

(2) Le règlement visé au présent article ne peut être pris qu'après l'écoulement d'un délai d'au moins quarante-cinq jours suivant la publication, dans la Gazette de l'Ontario et dans un journal généralement lu en Ontario, d'un avis énonçant la substance du règlement proposé et invitant le public à adresser ses observations au ministre délégué aux Affaires francophones. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 10 (2).

Idem

(3) Après l'expiration du délai de quarante-cinq jours, le lieutenant-gouverneur en conseil peut prendre sans avis additionnel le règlement qui comporte, le cas échéant, les changements jugés souhaitables. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 10 (3).

Ministre

11.  (1) Le ministre délégué aux Affaires francophones est chargé de l'application de la présente loi. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 11 (1).

Fonctions

(2) Le ministre élabore et coordonne la politique et les programmes du gouvernement en ce qui concerne les affaires francophones et la prestation des services en français. À ces fins, il peut :

a) préparer et recommander les projets, les politiques et les priorités du gouvernement en ce qui concerne la prestation des services en français;

b) coordonner, contrôler et surveiller la mise sur pied des programmes du gouvernement visant à la prestation des services en français par les organismes gouvernementaux et des programmes concernant l'emploi de la langue française;

c) formuler des recommandations relativement au financement des programmes du gouvernement visant à la prestation des services en français;

d) faire enquête sur les plaintes des membres du public en ce qui concerne la prestation des services en français et répondre à ces plaintes;

e) exiger que des projets gouvernementaux visant à la mise en oeuvre de la présente loi soient élaborés et présentés et impartir des délais relatifs à leur élaboration et à leur présentation.

Le ministre remplit également les fonctions qui lui sont assignées par décret ou par une autre loi. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 11 (2); 1993, chap. 27, annexe.

Rapport annuel

(3) À la fin de chaque exercice, le ministre présente au lieutenant-gouverneur en conseil un rapport sur les affaires de l'Office des affaires francophones. Il dépose ensuite le rapport devant l'Assemblée si elle siège, sinon, à la prochaine session. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 11 (3).

Office des affaires francophones

12.  (1) Les employés qui sont jugés nécessaires pour remplir les fonctions du ministre sont nommés en vertu de la Loi sur la fonction publique. L'ensemble de ces employés constitue l'Office des affaires francophones. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 12 (1).

Fonctions de l'Office des affaires francophones

(2) L'Office des affaires francophones peut :

a) examiner la disponibilité et la qualité des services en français et faire des recommandations en vue de leur amélioration;

b) recommander la désignation des organismes offrant des services publics et l'ajout à l'annexe de régions désignées;

c) exiger que des personnes morales à but non lucratif et des organisations semblables ainsi que des établissements, des foyers, des maisons et des collèges visés à la définition du terme «organisme gouvernemental» lui fournissent des renseignements qui peuvent être pertinents en ce qui concerne la formulation de recommandations au sujet de leur désignation en tant qu'organismes offrant des services publics;

d) recommander des modifications aux projets des organismes gouvernementaux en ce qui concerne la prestation des services en français;

e) faire des recommandations en ce qui concerne l'exemption ou l'exemption proposée d'un service aux termes de l'alinéa 8 (1) c).

L'Office remplit également les fonctions qui lui sont assignées par le ministre délégué aux Affaires francophones, le Conseil exécutif ou l'Assemblée législative. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 12 (2); 1993, chap. 27, annexe.

Coordonnateurs des services en français

13.  (1) Un coordonnateur des services en français est nommé au sein de chaque ministère du gouvernement. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 13 (1).

Comité

(2) Les coordonnateurs des services en français constituent un comité que préside le fonctionnaire principal de l'Office des affaires francophones. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 13 (2).

Communication

(3) Chaque coordonnateur des services en français peut communiquer directement avec son sous-ministre. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 13 (3).

Sous-ministre

(4) Chaque sous-ministre rend compte au Conseil exécutif de la mise en oeuvre de la présente loi et de la qualité des services en français dans le ministère. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 13 (4).

Règlements municipaux portant sur les langues officielles

14.  (1) Le conseil d'une municipalité située dans une région désignée à l'annexe peut adopter un règlement municipal prévoyant que l'administration de la municipalité se fera en français et en anglais et que les services municipaux au public, ou une partie précisée de ces services, seront fournis dans ces deux langues. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 14 (1).

Droit aux services en français et en anglais

(2) Lorsqu'un règlement municipal visé au paragraphe (1) est en vigueur, chacun a droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau de la municipalité et pour recevoir les services visés par le règlement municipal. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 14 (2).

Conseils régionaux et de communauté urbaine

(3) Si une région désignée à l'annexe fait partie d'une municipalité régionale ou de communauté urbaine et que le conseil d'une municipalité situé dans la région adopte un règlement municipal en vertu du paragraphe (1), le conseil de la municipalité régionale ou de communauté urbaine peut également adopter un tel règlement municipal en ce qui concerne son administration et ses services. L.R.O. 1990, chap. F.32, par. 14 (3).

ANNEXE

MUNICIPALITÉ OU DISTRICT

RÉGION

Ville du Grand Sudbury

La totalité

Cité de Hamilton

La totalité de la cité de Hamilton telle qu'elle existe le 31 décembre 2000

Ville d'Ottawa

La totalité

Cité de Toronto

La totalité

Municipalité régionale de Niagara

Les cités suivantes : Port Colborne et Welland

Municipalité régionale de Peel

La cité de Mississauga

Comté de Dundas

Le canton de Winchester

Comté d'Essex

La cité de Windsor

Les villes suivantes : Belle River et Tecumseh

Les cantons suivants : Anderdon, Colchester North, Maidstone, Sandwich South, Sandwich West, Tilbury North, Tilbury West et Rochester

Comté de Glengarry

La totalité

Comté de Kent

La ville de Tilbury

Les cantons suivants : Dover et Tilbury East

Comté de Middlesex

La cité de London

Comté de Prescott

La totalité

Comté de Renfrew

La cité de Pembroke

Les cantons suivants : Stafford et Westmeath

Comté de Russell

La totalité

Comté de Simcoe

La ville de Penetanguishene

Les cantons suivants : Tiny et Essa

Comté de Stormont

La totalité

District d'Algoma

La totalité

District de Cochrane

La totalité

District de Kenora

Le canton d'Ignace

District de Nipissing

La totalité

District de Sudbury

La totalité

District de Thunder Bay

Les villes suivantes : Geraldton, Longlac et Marathon

Les cantons suivants : Manitouwadge, Beardmore, Nakina et Terrace Bay

District de Timiskaming

La totalité

L.R.O. 1990, chap. F.32, annexe; Règl. de l'Ont. 407/94; 1997, chap. 26, annexe;
1999, chap. 14, annexe F, art. 4; 2000, chap. 5, art. 12.



[1] Le Règlement est entré en vigueur le 1er avril 1996.  Le 29 avril 1999, le Règl. de l’Ont. 272/99 a abrogé le Règl. de l’Ont. 88/96 et a attribué à la Commission des fonctions de conseil plus restreintes.

[2] L.O. 1986, c. 45.  Auparavant, les années 60 ont vu naître une plus grande sensibilité aux droits des francophones à la fois comme question de justice envers les résidents de l’Ontario et dans le contexte plus vaste de l’unité nationale.  Le gouvernement de l’Ontario a adopté une motion donnant aux députés le droit de s’adresser à la Chambre en français ou en anglais.  La Schools Administration Act, R.S.O. 1960, c. 361, et la Secondary Schools and Boards of Education Act, R.S.O. 1960, c. 362, ont été adoptées pour faciliter la création et le fonctionnement d’écoles primaires et secondaires françaises.  Le 3 mai 1971, le premier ministre Davis déclare officiellement à l’Assemblée législative qu’il s’engage à poursuivre le cheminement amorcé par l’ancien premier ministre Robarts en matière de bilinguisme.  Il fait savoir que la politique de l’Ontario sera de fournir, chaque fois que ce sera possible, des services publics en français et en anglais.  Il prend note de l’importance spéciale accordée par le gouvernement fédéral au bilinguisme dans la région de la capitale nationale et s’engage à soutenir les efforts accomplis à ce jour par les municipalités dans la région pour accroître la prestation de services bilingues : Journal des débats de l’Assemblée législative de l’Ontario, 3 mai  1971, aux pp. 1104 à 1109.  Dans le domaine de la justice, un projet pilote est mis sur pied en juin 1976 pour permettre l’emploi du français dans des procès devant la Division criminelle de la Cour provinciale à Sudbury.  Le projet est élargi à Ottawa l’année suivante.  Les services bilingues sont ensuite étendus à la Division de la famille à Sudbury et à Ottawa.  À la demande du procureur général de l’Ontario, le Code criminel est modifié en 1979 afin de prévoir qu’un procès pourra avoir lieu devant un juge ou un jury qui parle la langue officielle de l’accusé ou à la fois l’anglais et le français  (L.C. 1978-79, c. 36).  En avril 1984, la Loi sur les tribunaux judiciaires est modifiée.  Son article 135 (maintenant l’art. 125, L.R.O. 1990, c. C.43) stipule que les langues officielles des tribunaux de l’Ontario sont le français et l’anglais (L.O. 1984, c. 11).  À l’époque, le procureur général de l’Ontario, l’honorable Roy McMurtry, déclare que le gouvernement avait clairement fait savoir que les services en français en rapport avec les soins de santé devaient être une priorité : Journal des débats, 10 avril  1984, aux pp. 616, 617.